Genèse d’une bombe à fragmentation involontaire
Les journalistes d’investigation se considèrent comme une sorte d’aristocratie de la profession. Ils ont tendance à toiser leurs confrères rubricards, comme les conducteurs de l’Eurostar le font avec leurs collègues du TGV Sud-Est. Ce n’est pourtant pas un métier bien compliqué, il suffit d’avoir le numéro de portable de quelques policiers, voire d’obtenir celui d’un magistrat pour devenir « enquêteur » comme le Monde qualifie ses prestigieux Plic & Ploc. Le fait d’écrire avec ses pieds et l’analphabétisme juridique ne sont pas des handicaps, au contraire. Tous ces gens publient force livres, vite faits, vite lus, vite oubliés qui témoignent de la culture qui leur est commune : une fascination pour les képis. « Bienvenue place Beauvau » sous-titré « Police : les secrets inavouables d’un quinquennat » n’échappe pas à la règle avec la description minutieuse des agissements de « l’État profond » dans ses pratiques barbouzardes accompagné d’un name-dropping considérable. Tout ceci n’aurait rien eu de spécialement original si ce n’est l’existence de trois facteurs qui font de cette publication, une bombe à fragmentation. Tout d’abord si ce que l’on nous raconte est vrai, François Hollande qui nous avait bassinés avec sa normalité, apparaît comme un manipulateur sans morale, sans scrupule et sans aucun principe. Ensuite, les auteurs, probablement involontairement, nous font la démonstration de l’instrumentalisation de la justice à des fins bassement politiciennes. Enfin, la publication survient en pleine campagne présidentielle au moment du déferlement politico-médiatico-judiciaire contre François Fillon. Donnant complètement corps à l’accusation d’une opération téléguidée visant à favoriser l’accès de Macron héritier de François Hollande, à la Présidence de la République. À la lumière de ces trois éléments, la lecture en devient saisissante.
Dès la préface les auteurs démarrent fort et nous préviennent : « comme leurs prédécesseurs, mais avec moins de talent et de rouerie, Hollande, Valls, Cazeneuve et les autres ont joué avec l’appareil judiciaire à des fins souvent électorales. » Il faut quand même se foutre du monde pour prétendre que cette attitude aurait été absente dans la conduite politique et judiciaire de l’affaire Fillon. Tout d’un coup, les trois manipulateurs précités auraient été touchés par la grâce ? Et pourtant, mesurant tardivement l’impact politique meurtrier de tout ce qu’ils racontent les journalistes n’ont pas hésité à des rétro-pédalages pathétiques sur tous les plateaux. En fait, on peut penser qu’habitués aux manipulations policières du pouvoir d’État, et dépourvus d’une véritable culture juridique et judiciaire, ils n’avaient pas mesuré le caractère dévastateur de ce qu’ils écrivaient.
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