FIGAROVOX.- Les souverainistes se divisent entre souverainisme social et souverainisme identitaire. Ce clivage vous semble-t-il pertinent?
Jacques SAPIR.- Je le dis d’emblée: non. La question de l’identité est parfaitement légitime. Elle fonde l’une des sensibilités du mouvement souverainiste. Fernand Braudel avait d’ailleurs écrit un fort beau livre sur ce sujet: L’identité de la France. Mais, en véritable historien, il montrait comment s’était construite, progressivement, dans les joies et dans les drames, cette identité. Bien avant lui, au XIXè siècle, François Guizot, un autre historien mais aussi plus connu comme ministre de Louis-Philippe, montrait comment les luttes sociales, construisant des «espaces de souveraineté» avaient produit des institutions, et comment ces institutions avaient permis d’autres combats pour la souveraineté, combats qui ont façonné l’identité française.
En revanche, je refuse la réduction de l’identité, qui est un concept politique, émotionnel aussi, enraciné dans une histoire, à l’ethnie ou à la religion. Ce type de position est en réalité complètement contradictoire avec le principe de souveraineté, qui repose sur une notion politique du «peuple». Cela viendrait à nier les capacités intégratrices du peuple français, quand il est souverain. Que cette intégration soit aujourd’hui très difficile, qu’il faille probablement arrêter temporairement l’immigration, et en tous les cas certainement la réglementer plus strictement est un fait, mais un fait conjoncturel. Il faut en permanence se poser la question des conditions économiques, sociales et politiques de l’intégration, et ajuster les flux en conséquence. Que l’immigration de masse ait été aussi voulue par les grandes entreprises qui, dans les années 1960 et 1970 voulaient reconstituer la fameuse «armée de réserve du Capital» dont Marx parlait pour pouvoir limiter la hausse des salaires réels est aussi un fait.
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