La Grande histoire des guerres de Vendée de Patrick Buisson retrace l’épopée royaliste vendéenne contre la République française entre 1793 et 1796, soit les trois années de la plus meurtrière guerre civile qui ravageât notre pays éperdu pourtant d’une histoire cruelle de deux mille cinq cents ans.
Une narration à vif
Ce livre ne se présente en effet ni comme un essai historique, ni comme un roman héroïque, mais plutôt comme une narration à vif des événements tragiques et joyeux de cette époque troublée, initiation à la fois pédagogique, cultivée et viscérale.
Chaque chapitre couvre une période spécifique, de quelques semaines à quelques mois ; il s’ouvre par une présentation des faits advenus, des hommes, des protagonistes en présence, des controverses historiques suscitées, puis dénouées ; ensuite s’élèvent la voix terrible des narrateurs ressuscités (mémoires de témoins oculaires, rapports administratifs, récits historiques, analyses idéologiques, poèmes tragiques, chansons des combattants ou de leurs fils), appartenant aux deux factions, parfois d’une haute qualité littéraire ; s’y entrelace une riche iconographie : reliques contemporaine des évènements relatés (ces scapulaires au cœur rouge surmontés d’une croix !) ou bien reconstitution des peintres pompiers du XIXe siècle, encore proches des paysages et des visages (dont le trop oublié Jean Sorieul (1825-1871)), ou encore des vitraux d’églises relatant la geste des martyrs vendéens, ou enfin des jouets, estampes, monnaies, etc.
L’effet est saisissant ! À mesure qu’il tourne les pages le lecteur se sent incarné dans cette chouannerie à nulle autre pareille. Les pages de Patrick Buisson se présentent dès l’abord avec l’œil de l’aigle, un vol somptueux au-dessus du champ d’honneur, une description large, étendue, stratégique des positions respectives, des évènements survenus, des partis en lice ; soudain le rapace plonge en apnée aérienne jusqu’au sein torturé du charnier ressuscité par la voix des témoins, des écrivains, dans cette langue française soit sèche et terrible, qui déchiquète notre âme de ses serres, soit éclatante et gracieuse, caressant de ses plumes ; tandis que les portraits et paysages graphiques nous éblouissent de leurs couleurs successivement froides ou ardentes, nous transportent dans des champs cultivés, des villages populeux, des intérieurs fébriles, des batailles homériques, des blessures purulentes, des illuminations sanguinaires, des cieux suintants. Le lecteur en sortira sidéré et fasciné, émerveillé et horrifié.
Des écrits visionnaires
La sincérité lyrique de la Marquise de La Rochejaquelein, vivifiante amazone qui ne répugnait pas aux coups de pistolet, à l’époque épouse puis veuve du général chouan Louis de Lescure, surnommé « Le Saint du Poitou », rivalise d’ardeur incisive et de puissance d’évocation partisane avec les prêches hallucinés du néojacobin Jules Michelet, tandis qu’un Victor Hugo diplomate tente de départager les ennemis inconciliables en cachant mal son admiration pour les Vendéens dans cette guerre de géants et de titans. Émergent alors des noms souvent oubliés, déclamant, proclamant, psalmodiant, s’épanchant, confessant des actes, des paroles, des portraits révélateurs.
Les irruptions sévères de Michelet, les correspondances politiques, même indulgentes, des généraux et commissaires de la République, des ministres et députés, tançant les Vendéens sans percevoir leur loyauté envers une architecture organique qu’ils veulent bien élaguer, amender, mais non raser, – en d’autres termes ces sermons républicains au nom de « la France » et de « la patrie », sonnent avec une sécheresse administrative, conceptuelle, qui démontre à quel point cette guerre opposait l’esprit citadin à celui de paysannerie, l’esprit abstrait de l’industrie au rude enracinement agraire, la raison démiurgique à l’humble instinct. Deux races d’hommes, en effet…
Et c’est en cela que réside l’intérêt majeur du livre : confronter les deux partis, royaliste et républicain, qui, à force de s’écharper l’un l’autre, de se griffer jusqu’à s’en écorcher vif, une fois en haillons leurs voiles partisans, découvrent par leur nudité les traits véridiques de cette guerre – déjà désignée Grande Guerre avant celle de 1914 – et de ses hommes – que leur descendance surnommera géants et titans.
D’aucuns crieront à l’ouvrage partisan. Et certes la République n’en sort pas grandie, à l’inverse dénoncée, déshonorée même, puisque Gracchus Babeuf et les Thermidoriens, Victor Hugo et Jules Michelet eux-mêmes peinent à la défendre sur ce théâtre sanglant aux relents populicides…
L’excellente préface de Philippe de Villiers situe d’ailleurs de suite l’enjeu du livre : la Vendée est une avant-garde, affirme-t-il, c’est-à-dire le symbole martyr de la résistance d’un peuple à l’oppression, – peuple étant entendu au sens d’enracinement, d’héritage culturel traditionnel, – oppression désignant le totalitarisme, que celui-ci soit jacobin ou girondin, traduit en français contemporain : communiste ou consumériste.
Populicide ou génocide ?
Notre seul bémol à l’encontre de ce livre est l’insistance de Patrick Buisson à désigner la répression républicaine en Vendée sous la Terreur (par les massacres de Nantes et les colonnes infernales) comme un génocide au sens que lui reconnaissent les tribunaux ad hoc depuis 1945. Ce terme reste encore très controversé, même chez les Royalistes, d’autant plus parmi les historiens et les juristes, et cette affirmation, quoique finale, nous semble caricaturale, puisque le nombre de pages, le format et le propos ne se prête pas au soutien d’une telle polémique ; l’auteur le sent si bien qu’il présente en définitive l’essai juridique et historique récent de Jacques Villemain, intitulé Vendée 1793-1794 : Crime de guerre ? Crime contre l’humanité ? Génocide ? Une étude juridique comme un argument d’autorité – ce qu’il n’est pas encore à ce jour. Nous nous garderons bien d’entrer dans ce débat houleux, n’ayant pas lu l’essai en question. Nous nous contenterons de préciser que certains préfèrent user d’une notion plus subtile, sise entre celle du crime de guerre (reconnu par l’ensemble des historiens à l’encontre de la population vendéenne) et celle du génocide (très controversé, donc) : en l’occurrence, le néologisme, daté de 1795, de populicide.
Une victoire posthume
Mais, populicide ou génocide, la conclusion reste identique : la noblesse des chefs vendéens et la justice de la cause chouanne rejaillissent aujourd’hui, malgré le mémoricide dont ils furent victimes, sur la République et ses sbires, la désignant pour ce qu’elle est : une « secte barbare et impie » (ainsi que la dénonçait le général Charette, prestigieux chef vendéen, héros homérique s’il en fût), en termes actuels : une secte souillée menée par une faction sordide.
C’est donc une merveille que cet ouvrage, tant pour s’initier à l’histoire de la Grande Guerre civile de Vendée que pour se la remémorer parfois, dans sa grandeur et sa douleur, pour baigner dans la jouvence de son désespoir orgueilleux, archétype inégalable de résistance à l’iniquité.
Aymeric Taillefer