Entretien avec Charles Saint-Prot Charles Saint-Prot, docteur en science politique, universitaire, habilité à diriger des recherches (HDR), directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques, fait partie des rares intellectuels qui ne s’en laissent pas conter sur les « apports de Mai 68 » et qui osent le dire. La citation de Dominique de Roux (L’Ouverture de la chasse, 1968) qu’il a choisi de mettre en exergue de sa brève mais dense étude (Mai 68, la révolution des imbéciles aux éditions de Flore) donne le ton : « Il ne faut pas confondre le rouge du sang couleur de la tragédie et le rouge équivoque des atroces lendemains des saturnales où la vomissure l’emporte sur le sang. »
– Pourquoi avez-vous décidé de prendre la plume en cette date anniversaire ?
C’est l’exaspération suscité par la célébration de cet événement sordide qui donne lieu à une véritable vénération des médias, d’une partie de la classe politique et de la grande armée des gogos et des bobos. Certains songeraient même, dit-on, à mettre au centre du spectacle grotesque l’ineffable Cohn-Bendit qui déclarait jadis que le drapeau français est « « le drapeau français est fait pour être déchiré » ! Et sans doute le pense-t-il toujours puisqu’il est devenu le chantre d’une union européenne visant à détruire les nations.
– Que faisiez-vous en mai et juin 1968 ?
J’étais lycéen au Lycée du Parc de Lyon. Un matin je constate que l’entrée du lycée est bloquée par un groupe de gauchistes venus de l’extérieur. Je saisis une pioche laissée par les jardiniers du parc de la Tête d’or et je me fraye un passage. Depuis cette date, je n’ai pas cessé de combattre ces gens qui veulent détruire notre société.
– Pouvez-vous préciser votre constat selon lequel : « L’idéologie soixante-huitarde repose très exactement sur des dogmes anciens » ?
Il est clair que les idées soixante-huitardes, d’abord masquées derrière des slogans avant-gardistes, n’étaient en réalité que l’ancienne idéologie de la subversion et de la haine qui sévit depuis des siècles. C’était la résurgence de tout le fatras des anciens dogmes individualistes et révolutionnaires. Qui pourrait sérieusement penser que le maoïsme, le trotskisme, le marxisme-léninisme sous ses différentes formes, y compris les pro-albanais !, pouvaient en quoi que ce soit incarner des projets d’avenir ? Tout n’était que vieilles idéologies totalitaires, d’ailleurs condamnées par l’Histoire
– Quelle filiation peut-on établir entre les gauchistes d’alors et les libéraux-libertaires d’aujourd’hui ?
La première filiation est la haine des nations, singulièrement de la France et de ce qu’ils ont appelé « l’idéologie française ». C’est pourquoi un personnage aussi méprisable que Cohn-Bendit a pu donner le ton en passant si facilement du gauchisme à l’ultralibéralisme. Ces deux courants
sont à l’origine d’une idéologie antifrançaise qui est devenue la pensée dominante. Ils ne sont donc pas contradictoires dans la mesure où ils expriment le même rejet de la réalité nationale pour exalter le nouvel ordre eurocratique et mondialisé.
– Vous semblez indiquer qu’au-delà de la manifestation de la « bêtise collective » du « joli mois de mai », il y a plus grave : une volonté de « casser l’État-nation »?
Le mouvement de Mai 68 visait surtout à casser la France, ce qui passait par une démolition de l’État. Or, le discours contre l’État n’est jamais neutre dans la mesure où la diabolisation de l’État traduit toujours une intention antipolitique, donc antinationale, liée à un certain nihilisme et à un enfermement dans un présent sans passé et sans avenir. N’oublions pas que, comme je l’expose dans mon livre L’État-nation face à l’Europe des tribus (éd. du Cerf), nous sommes les héritiers de Philippe le Bel, de Louis XI, d’Henri IV et de Sully, de Richelieu, de Louis XIV, de Colbert ; de tous ces géants qui ont construit cet État-nation qui est notre protection contre les forces de dissolution. En 1968, proférées par toute sorte d’imbéciles dupés, les diatribes libertaires contre l’État et la nation ne faisaient que camoufler le véritable projet de ces événements dont le professeur Jean Rouvier a pu écrire qu’un « lobby israélo-américain » ne fut pas étranger à leur déroulement. C’est sans doute ce que veut dire Régis Debray quand il constate que ces « événements se passèrent dans le dos des acteurs ». Des foules d’idiots utiles ont donc été manipulées par des agitateurs professionnels qui avaient des accointances avec les ennemis de la France.
– L’une des conséquences peu mise en évidence de mai 68 n’est-elle pas d’avoir mis à mal « le jeu de la France » sur l’échiquier international ?
Avant Mai 68, la France conteste la domination des États-Unis sur les plans politique, militaire et monétaire. Elle se dote de l’arme atomique et quitte le commandement intégré de l’OTAN (1966). Elle soutient la cause arabe face à l’expansionnisme israélien. Elle appelle à l’indépendance du Québec. Elle a une vision planétaire et la conviction que sa mission consiste à rester elle-même et à ne se soumettre à personne. Il y avait alors un projet français, on était français pour quelque chose, pas seulement pour vociférer lors de match de ballon. C’est cette France dynamique, inventive, droite dans ses bottes que les charlatans de l’agitation osèrent qualifier de « vieux monde » alors que c’est évidemment eux qui incarnaient le passé et le retour en arrière.
Après Mai 68, la politique de la France n’a certes pas varié du jour au lendemain, mais le poison insufflé dans les esprits et la société a peu à peu fait son œuvre. Désormais les eurocratiques. Elles adhérent à l’idéologie du renoncement. Le Marché dicte sa loi au Politique – ou ce qu’il en reste. Je parlais des géants qui ont fait la France. Voici venir le temps des nains. Ce sera assurément la victoire de Mai 68 si nous, c’est-à-dire le pays réel, ne réagissons pas vigoureusement.
Quotidien Présent, 26 avril 2018