On aurait voulu l’oublier, le laisser croupir avec les rebuts de l’histoire. Pourtant, cent cinquante ans après sa naissance, Charles Maurras est de retour. Grâce à sa récente réédition dans la collection Bouquins, nous sont restitués l’essentiel de sa pensée politique, ainsi que son œuvre littéraire, trop souvent négligée. L’occasion de découvrir, derrière l’affreux pétainiste et l’austère théoricien, le philosophe et l’esthète.
Qui n’a pas senti sur son visage la fraîche caresse de la brise, charriant les embruns de la mer, qui ne s’est pas promené, sous la chaude clarté du Midi, bercé par le refrain des cigales, à l’ombre des oliviers, qui ne connaît ces villages provençaux cerclés de lavandes, parsemés de lauriers roses, l’accent chantant des gens du pays à l’heure du pastis, sur la place où s’élève le clocher en campanile, qui ne devine cette paisible gaieté ne pourra jamais comprendre Charles Maurras. Car Maurras, avant tout, est un provençau. « Quelques lieux que je coure, c’est toujours à celui-là que je reviendrai ; c’est là que tout me ramènera mort ou vif » [1], confiait celui qui repose avec les siens à Roquevaire, et dont le cœur est enterré dans son jardin de Martigues. C’est là qu’il grandit, que sa mère aimante le mena à l’église, qu’il s’imprégna de la sagesse populaire de sa vieille bonne, c’est dans cette vivante et bigarrée foire aux santons qu’il vit se côtoyer noblesse désargentée, pécheurs de l’étang de Berre, paysans de Camargue, et belles arlésiennes dansant dans leurs robes soyeuses. C’est là, aussi, qu’il devint sourd à l’âge de quatorze ans, se réfugia dans les livres, perdit la foi, songea au suicide, préféra la vie. C’est là, également, qu’il s’éprit de poésie : « La poésie emportait et sublimait tout, de sorte que je finissais par ne plus distinguer si tout n’était pas rêverie. » [2] Lui-même reconnaîtra plus tard que « peut-être ne serais-je ni royaliste, ni traditionniste, ni nationaliste, ni même patriote sans les enseignements donnés dans cette langue par le chant divin de Mistral » [3]. N’oublions jamais que quand Maurras s’exclame « vive le roi », c’est fondamentalement pour que vive la poésie.
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