Atlantico : Dans quelle mesure l’agression d’Alain Finkielkraut, ce samedi 16 février à Paris, faisant suite aux injures de même nature dont le philosophe avait fait l’objet en 2016, lors de sa visite au mouvement Nuit Debout, pourrait-elle démontrer que le caractère « rouge brun » – dans le sens d’une union des extrêmes – qui est aujourd’hui largement repris concernant le mouvement des Gilets Jaunes, est en réalité bien plus « rouge » que brun ?
Christophe Boutin : Deux éléments doivent être clairement pris en compte pour avoir une vue claire de la situation. Le premier est que le mouvement des « Gilets jaunes », tel qu’il est apparu, n’est en rien un mouvement extrémiste. Né au hasard d’une contestation sociale contre l’augmentation des taxes sur le carburant, il traduisait le ras-le-bol de toute une population devant un sentiment généralisé de précarité. Précarité des conditions de vie, quand l’augmentation des prix fait que le travailleur peut tout juste subsister, sans pouvoir épargner pour bénéficier d’un minimum de sécurité, et que nul ne sait s’il aura assez pour vivre quand il sera à la retraite. Précarité encore quand le travail que l’on a peut disparaître du jour au lendemain, au fil de ces délocalisations, qui, en France, traduisent cette mondialisation que l’oligarchie prétend « heureuse ». Précarité toujours quand chacun se demande si ses enfants auront un emploi, et craint pour eux un déclassement qui en ferait les nouveaux ilotes de ce pouvoir financier qui surplombe les nations. Précarité enfin d’un cadre culturel ravagé par un progressisme aussi grotesque que sectaire qui entend briser tous les repères, d’une histoire oubliée quand elle n’est pas caricaturée et insultée, et jusqu’aux plus évidents repères anthropologiques, niés par des apprentis sorciers qui rêvent de transhumanisme.
Face à cette pression peut-être sans précédent sur un peuple qui s’estime trahi par ses élites pour n’avoir jamais été consulté sur ces changements majeurs de civilisation, on a simplement vu, avec le mouvement des « Gilets jaunes », des ronds-points bloqués et des rues, des places ou des avenues devenues « jaunes » de monde. Y a-t-il eu des violences de la part de certains de ces manifestants envers les forces de l’ordre ? Sans doute. Les lois de la statistique le veulent, on ne réunit pas une telle quantité de personnes sans avoir quelques excités, ou quelques individus poussés à bout et devenus incapables de se rendre compte que leurs excès mêmes discréditent le mouvement auquel ils participent. Cela tombait bien, car dès le début des grandes manifestations, pour tenter de retourner contre le mouvement une partie de la population, le gouvernement (les Griveaux, Castaner et autres Darmanin) a joué – et sur-joué – l’air bien connu de la défense de la République contre les « factieux », ces milices fascistes qui voulaient rejouer la marche sur Rome ou le 6 février 34.
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