Le mouvement des Gilets jaunes s’inscrit dans l’histoire de notre pays parce qu’il est, sous la Ve République finissante, le premier mouvement de protestation populaire issu directement du pays réel. D’où la trouille des élites politiques, médiatiques et intellectuelles, qui n’y répondent que par une criminalisation de ses acteurs du mouvement, une répression d’une violence inouïe sur le plan policier et d’une sévérité jamais vue sur le plan judiciaire, et un silence complice, sur cette répression, des journalistes d’État ou de l’oligarchie, qui insistent lourdement, en revanche, sur les dérapages de quelques vrais – ou supposés – Gilets jaunes. Après quoi ils s’étonnent de l’animosité qu’ils suscitent ! Sans compter ces intellectuels versaillais, certains anciens soixante-huitards, qui déversent sur le mouvement des tombereaux d’insultes, l’un d’entre eux appelant même à l’usage de leurs armes létales par la police ou la « quatrième armée du monde ». Il est vrai que Luc Ferry, cet ancien ministre de l’éducation nationale, chroniqueur mondain au Figaro et philosophe de gare, s’était déjà signalé, dans sa jeunesse, en pétitionnant, aux côtés d’autres miliciens de la pensée, contre l’élection de Boutang à la Sorbonne.
On comprend leur tentative, à travers un faux grand débat national octroyé par le Grand Mamamouchi, de neutraliser la parole du pays réel. Au contraire de la monarchie qui, dès le XIVe siècle, avait organisé des cahiers de doléances permettant au peuple de faire remonter au roi ses demandes, via ses représentants, mais sans qu’elles soient filtrées par une élite déconnectée. D’ailleurs, comme nous en avons émis immédiatement l’idée, de nombreuses mairies et des groupes de Gilets jaunes ont spontanément repris cette pratique ancrée dans notre tradition politique, à laquelle la République a mis fin par peur du peuple. Or ce grand débat truqué, dont le cabinet du Premier ministre s’affaire à rédiger les conclusions avant même qu’il ne soit achevé, a précisément pour objet d’interdire au pays réel de faire parvenir ses doléances à l’échelon régalien, dans l’espoir que cette parole encadrée, surveillée et neutralisée se substituera légalement, sinon légitimement, à la libre parole des citoyens. C’est pourquoi la lettre de Macron aux Français liste les seules trente questions que les Français ont le droit de se poser. Qu’il s’agisse de fiscalité, d’organisation de l’État, de transition écologique ou de citoyenneté, ils ne sont autorisés qu’à proposer des aménagements cosmétiques. Interdiction, en revanche, de parler de politique économique, d’Europe ou d’immigration, sauf sous la forme du sempiternel serpent de mer des quotas.
Cette neutralisation de la parole civique n’est-elle pas également voulue par tous les partis ? Ils font profil bas car ils se savent eux aussi atteints dans leur légitimité par cette révolte populaire. Le dégagisme, pour certains, a même commencé dès 2017. « Le gouvernement d’Emmanuel Macron fait face ici à une opposition structurée, cohérente, disciplinée, réactive, courageuse et particulièrement motivée dont il ne peut que tenir compte », a excellemment déclaré Christophe Boutin. « Tenir compte », en l’occurrence, signifie non pas écouter mais circonscrire — ou tenter de le faire, sans quoi, c’est le consentement à l’État lui-même qui sera atteint, surtout si les forces du désordre républicain, par leurs exactions, et la justice, par ses excès, persuadent le pays réel que le régalien, aux mains de l’oligarchie, use de tous les moyens, même les plus répugnants, pour le faire taire. Le sociologue maurrassien Pierre Debray, dont nous commémorons cette année le vingtième anniversaire de la mort, avait très tôt théorisé comment le changement serait provoqué « par un groupe tout entier […] menacé dans son statut social ».
Nous y sommes. L’espoir est désormais du côté du pays réel contre les forces de mort du mondialisme. Sachons en convaincre nos compatriotes.
Source : Le Bien Commun n°4, février 2019