Emmanuel Macron, en adressant début mars « aux citoyens d’Europe »(sic) une bafouille comme lui seul en a le secret (urgente, historique et pleine des valeurs européennes), a dû vivre un moment d’intense solitude en prenant connaissance des réactions des partenaires de la France, la plupart indifférentes, condescendante de la part du président de la Commission, et agressive de la part de l’Allemagne, dont il subit une nouvelle humiliation : c’est non pas Merkel, mais Annegret Kramp-Karrenbauer — AKK pour les intimes —, qui a remplacé la chancelière à la tête de la CDU, et la remplacera peut-être demain à la chancellerie, qui l’a remis à sa place de pion de la puissance allemande. Car la réponse a au moins le mérite d’être claire : l’Allemagne est et reste nationaliste, comme elle l’a toujours été, qu’il s’agisse du IIe Reich, créé par Bismark (qui imposa la république à la France, pour l’affaiblir), de la République de Weimar et du IIIe Reich (dès 1922 le traité de Rapallo, signé avec les Soviétiques, anticipait, par une collaboration militaire secrète, l’alliance Hitler-Staline d’août 1939), ou d’une République fédérale qui, aujourd’hui, n’est européenne que dans la mesure où elle occupe une situation hégémonique à Bruxelles. Aussi a-t-il beau, avec la lucidité d’un Aristide Briand, dénoncer le « piège du repli nationaliste » et proclamer l’urgence d’une « Renaissance européenne », Macron ne s’aperçoit pas que le retour général du nationalisme en Europe, sauf en France — en cela l’Europe supranationale est bien une création des élites françaises — n’est pas seulement le fait des pays qui le proclament le plus haut et fort (l’Italie ou la Hongrie, par exemple) mais avant tout de ceux qui s’affichent d’autant plus européens que l’Europe est la courroie de transmission de leur hégémonie. Et de même que De Gaulle fut humilié quelques mois après la signature du traité de l’Elysée, en 1963, par le Parlement allemand qui le rendit caduque par le simple ajout d’un préambule réaffirmant la prééminence de l’alliance américaine, de même, quelques semaines seulement après la signature du traité d’Aix-la-Chapelle, Merkel, par la voix d’AKK, exige de Macron que la France laisse à Bruxelles, c’est-à-dire à Berlin, son siège au conseil de sécurité de l’ONU : ce serait plus réaliste qu’un hypothétique siège allemand, alors que ni l’Amérique latine ni l’Inde n’y sont représentées, et surtout plus efficace : l’Allemagne devenue enfin l’Europe et, de ce fait, le seul partenaire des États-Unis. Elle rappelle ainsi son vrai visage, celui d’un peuple dominateur et sûr de soi, à une France dont les élites politiques sont aveugles et soumises — s’il y a un retour des années 30, c’est bien celui-là ! Pourtant Macron avait mis les formes, en rappelant notre soumission à l’OTAN et sa volonté d’une alliance militaire européenne mettant de facto notre force de frappe au service des intérêts germano-américains, via, notamment, un « Conseil de sécurité européen associant le Royaume-Uni », dont la bombe est sous dépendance américaine « pour préparer nos décisions collectives. » Oui, collectives ! Nous ne sommes plus en 1963, et depuis 2008 et notre retour dans le commandement intégré de l’OTAN, et la neutralisation, subséquente, de notre diplomatie, l’Allemagne, qui ne craint plus le danger soviétique et est désormais réunifiée, veut davantage : effacer son humiliation de 1945 de nous voir au banc des vainqueurs — « Ah ! Il y a aussi des Français ! Il ne manquait plus que cela ! » déclare Keitel le 8 mai 1945 en apercevant de Lattre de Tassigny. La France, après la défection britannique de 1940, devait se voir définitivement défaite, aux plans politique et moral, même après la défaite militaire de l’Allemagne — tel était aussi l’avis de Roosevelt et Truman : d’où le refus de De Gaulle en 1964 de participer au vingtième anniversaire du débarquement. Notre siège au conseil de sécurité est, pour l’Allemagne, un remords permanent : celui de son échec à nous effacer, d’une manière ou d’une autre, de l’histoire. Avec Macron, elle pense manifestement pouvoir enfin y parvenir. Aussi ne se gêne-t-elle pas pour l’humilier, sachant que le falot personnage, hostile à tout patriotisme, a déjà renoncé à la France.
François Marcilhac
Source : Le Bien Commun, n°6, avril 2019