Par Philippe Germain
En 1975, dans son étude Cohérence, le sociologue maurrassien Michel Michel formalisa la typologie des différentes stratégies et en clarifia les concepts. Devenue le socle de la réflexion stratégique de l’A.F. dans les années 1990, ce travail permet d’identifier les stratégies écartées par Maurras tout en rapprochant celles déployées par les Princes Bourbon-Orléans.
Michel y évoque les stratégies spécifiquement marxistes mais à la publication de L’éducation du Monck, elles n’existent pas encore en 1901.
- ni celle de Lénine dans L’État et la Révolution;
- encore moins celle de Gramsci dite “ culturelle ” .
On peut juste noter que Marx et Maurras définissent un processus stratégique en trois phases. Chez Marx cela donne la conquête de la démocratie par le prolétariat puis une dictature centralisant tous les moyens de la production entre les mains de l’État et enfin une société sans classe. Chez Maurras on trouve la conquête du pouvoir d’état, suivi d’une phase de consolidation sous forme de dictature de salut public et enfin l’instauration du gouvernement normal du royaume. Il faudra donc attendre la brochure Que faire de 1962 pour que Pierre Debray intègre certains éléments de Lénine et de Gramsci dans la réflexion d’A.F.
La stratégie de “ résistance populaire ” relève de la mémoire contre-révolutionnaire du peuple se levant contre la Révolution. La révolte armée des vendéens, chouans, lyonnais et blancs du Midi n’a jamais séduit Maurras qui tient la guerre civile pour le pire des maux (1904). La guerre civile gauloise se termine toujours par l’intervention de l’Étranger. La stratégie de résistance populaire trouve uniquement grâce dans les phantasmes spontanéistes d’anarcho-royalistes subjugués par le romantisme maoïstes des années 1970 ou celui des catholiques irlandais. Elle est un échappatoire à l’action politique.
D’autres stratégies sont écartées par Maurras en 1901, bien que déployées par les Prince. Rappelons les…
D’abord la stratégie “ parlementaire ” dans laquelle on change les gestionnaires sans toucher au régime. Elle avait été menée avec un certains succès, quinze ans avant par Philippe VII, dans le cadre du grand bloc conservateur de 1885. Face à ce risque majeur, Clemenceau avait élaboré la riposte de “ Défense républicaine ” dont le Front National continue de faire les frais depuis 35 ans. Par mesure de sécurité, la démocratie avait voté la loi d’exil pour les Princes. En 1901, Maurras ignore cette stratégie reposant sur un parti royaliste fortement implanté et discipliné alors qu’il avait fondu comme neige au soleil depuis son désastre électoral aux législatives de 1889.
La stratégie du “ pouvoir dans la rue ” a également été écartée par Maurras. Il faudra encore une décennie pour qu’il l’aborde dans Si le coup de force est possible (1908). A la publication de L’éducation du Monk, Maurras vient de constater l’échec assez lamentable de Philippe VIII s’appuyant sur une alliance insurrectionnelle des royalistes avec les nationalistes (disons les nationaux-populistes d’aujourd’hui, lepenistes et gaullistes) et les antisémites (actuels soraliens). Cette stratégie du pouvoir dans la rue, le futur Henri VI demandera à l’A.F. de l’appliquer en 1934, à partir d’une alliance avec les anciens combattants. Elle se plia contre son gré à cette mise à l’épreuve et son échec sanglant fut source de discorde avec le prétendant.
La loi d’exil de 1886 interdisait toute stratégie “ présidentielle ” à Maurras. Ce n’est qu’une fois celle-ci partiellement abrogée en 1950 qu’Henri VI tentera de la déployer. Basée sur l’opinion, elle nécessite une véritable manne financière. Cette stratégie de la Monarchie élective, supposant un candidat s’imposant par son charisme, alla assez loin, échouera en 1965. Le Prince souhaitait que le général De Gaulle le désigne comme son successeur et l’installe ainsi pratiquement à l’Élysée lorsqu’il demanderait le consentement des Français. Il n’en fut rien, le prétexte invoqué par De Gaulle étant de faire barrage à la candidature de François Mitterand. Suite à son troisième échec de conquête du pouvoir, le Prince se repliera derrière le concept du « recours ». Nous y reviendrons.
Restait pour Maurras, la possibilité d’envisager la stratégie de “ la crise sociale généralisée ”. Ce pouvait être un peu la “ grève générale ” des anarcho-syndicalistes car on ne croit plus dans les réformes et on n’a plus confiance dans les partis. Il s’y refuse et il faudra attendre les années 1980 pour que Pierre Debray commence à envisager dans la nébuleuse d’A.F. ce type de stratégie compatible avec le concept de recours. Celui de l’homme dont on connaît la compétence et qui a un moment grave peut prendre le pouvoir ; ce qui suppose un travail de contacts dans l’appareil d’État et avec l’opinion. Il doit s’appuyer sur un consensus minimum et agir dans une occasion sérieuse, telle la crise sociale généralisée.
C’est donc la stratégie du coup d’État que prônent Maurras et l’A.F. Celle de Philippe VII en 1889 et d’Henri VI en 1942 à Alger. Une stratégie dont l’histoire enseigne qu’elle repose essentiellement sur l’initiative du Prince dans la phase de conquête du pouvoir. Cette stratégie du coup d’État peut profiter de la personnalisation de la vie politique qui minimise le rôle des partis, si elle parvient à s’appuyer sur un état-major politique très soudé et des petits réseaux souples mais efficaces, comme l’on prouvé les coups gaulliste en 1958, Giscardien en 1974 et Macroniste en 2017. Depuis ce dernier, la presse parle plutôt de hold-up démocratique plus que de coup d’État. Alors va pour hold-up démocratique, puisque le butin c’est l’appareil d’État.
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