Par Germain Philippe
Les différences stratégiques dans l’histoire royaliste récente, sont une réalité. Elles relèvent principalement de la Maison de France. Particulièrement de Philippe VII déployant successivement deux stratégies différentes (1885, 1889) et Henri VI qui en tenta trois (1934, 1942, 1965), elles aussi différentes entre-elles. Ces différences stratégiques n’ont rien d’anormal car chacune d’entre-elles correspond à un contexte donné. Par ailleurs cet énoncé des stratégies déployées met en évidence qu’il appartient aux Princes de « prendre la manœuvre » dans la phase de conquête du pouvoir d’Etat. Une responsabilité qu’ils ont toujours assumée, sorte de « pré-carré » stratégique en quelque sorte ; du moins pour Philippe VII, Philippe VIII et Henri VI ( au quel on doit associer Jean III qui « passee la main » au Dauphin en 1934).
Si on évoque des divergences c’est entre Prétendant et Dauphin qu’on peut en trouver. Celle entre Philippe VII et son fils le duc d’Orléans, est peu connue mais on peut se référer à l’ouvrage de Marc Desaubliaux La fin du parti royaliste (1986). Douloureuse fut celle entre Henri VI et le comte de Clermont, futur Henri VII. Certains sont tentés d’ajouter celle plus feutrée du Prince Jean qui assuma – avec souplesse et déférence – les positions de son grand-père Henri VI. Ces divergences ne relèvent pas du domaine de la stratégie royaliste.
Pourtant si on évoque une divergence c’est inévitablement au pénible désaccord entre Henri VI et Maurras que l’on pense. Aujourd’hui grâce au travail de Bruno Goyet Henri d’Orléans, comte de Paris – Le prince impossible (2001) nous savons que sa source remonte à la condamnation religieuse de 1926. Elle fut ensuite instrumentalisée en 1930 par certains responsables de la peu connue “ grande dissidence ” de l’A.F. cherchant le soutien de Jean III. Il est cependant inutile de tenter de la minimiser la divergence que représente Le manifeste de 1937 du duc de Guise précisant que l’A.F. n’est pas son interprète et que « si sa doctrine postule le régime monarchique, les enseignements de son école, par contre, se sont révélés incompatibles avec les traditions de la monarchie française ». La catholique au premier chef car souvenons nous que l’A.F. De 1937 reste condamnée par le Vatican.
La divergence réelle entre Maurras et le Prince porta sur l’incarnation de la Monarchie et non sur la stratégie. Le Prince reprocha à Maurras de vouloir monopoliser l’idée royale. Pour lui l’idée et la réalité monarchiques qu’il représentait ne devaient pas se confondre avec une école de pensée. De son coté Maurras se raidissait sur son royalisme de raison. N’avait-il pas fourni aux Princes un public nouveau, qui n’avait pas d’ancêtre mais des convictions et de l’espérance, en remplacement d’une aristocratie ralliée ou mariée à la République.
Le blessé de l’exil et celui de la surdité se braquèrent. Le Prince s’éloigna de la monarchie selon Maurras en se rapprochant progressivement des dogmes de la démocratie. Pour sa part Maurras en conclue la nécessite de défendre l’héritage avant de ramener l’héritier et donc dé-priorisa sa stratégie de conquête du pouvoir. La ligne devenait celle d’une Action française combattant pour une institution politique, non pour les idées du prétendant.
Depuis cette crise de 1937, les prises de positions politiques de I’A.F. n’ont pas toujours concordé avec celles du comte de Paris. L’A.F. considérait avoir le droit de ne pas partager toutes ses opinions. Le Prince n’étant ni le chef de l’A.F. ni celui des royalistes, il prétendait selon une tactique qui lui appartenait, à lui seul. L’Action française jugea nécessaire de ne faire « aucune concession au vocabulaire du temps ». Ce fut le cas sur l’expérience gaulliste, sur mai 68, sur certains aspects de la politique socialiste mais le plus douloureux fut la période de la guerre d’Algérie. Époque ou l’A.F. peina à comprendre l’attitude d’Henri VI.
Depuis 1945 l’Action française n’a cessé de tenir fermement sa ligne de sauvegarde de l’héritage par la défense de « la plus grande France ». Certains vont même jusqu’à considérer que ce fut son combat principal sur la seconde moité du XXeme siècle. On comprend donc que l’A.F. ne put comprendre l’abandon de l’Héritage au travers la province d’Algérie que la France devait à la famille d’Orléans. Le Prince lui sembla s’aligner sur la politique algérienne de De Gaulle en oubliant les raisons pour lesquelles son fils François était mort au combat (1960). La perte de l’Algérie française fut une blessure d’une extrême sensibilité pour les royalistes. Moment douloureux pour une A.F. qui s’impliqua alors toujours plus sur la défense de l’héritage. Pierre Pujo l’amena ainsi à se porter à la pointe des combats pour la sauvegarde des« prolongements outre-mer » de Mayotte (1974-1976), les Nouvelles-Hébrides (1979-1980), la Nouvelle-Calédonie(1984-1988) et Anjouan (1981-1999).
La situation évolua avec la réunion d’Amboise en 1987, Pierre Pujo mesurant que « la Maison de France était toujours disponible pour servir le pays » afin de renouer le vieux pacte entre le Roi et le Peuple. Depuis l’A.F. s’est systématiquement positionnée en avant-garde du soutien aux Comte de Paris.
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