Par Philippe Germain
La prétendance de Philippe VII nous a fait croiser plusieurs « coups de force » républicains, illustrant le jugement d’Anatole France sur la République qui gouverne mal mais se défend bien. Eh ! oui, le coup de force appartient bien à l’univers républicain. Il peut relever de l’arsenal légal (l’exil, la haute cour…), mais aussi s’appuyer sur la police politique (infiltration des Skinheads d’hier ou Black Blocs d’aujourd’hui) ou sur des barbouzes (régime gaulliste).
Les coups de force républicains relèvent d’une culture du complot fortement enracinée. Tout royaliste doit en avoir conscience : l’État républicain vit dans la crainte paranoïaque du complot. Son origine ? C’est le complotisme d’État de la Convention (1792-1795). Elle fantasmait alors sur un redoutable bloc comploteur fédérant le parti prêtre, les émigrés, les étrangers et bien entendu les brigands de l’Ouest et du Midi blanc. Cette crainte paranoïaque du complot est le fait d’un pouvoir politique se sachant fragile. Voilà l’origine du Comité de Salut Public (1793-1795), maintenu après Thermidor sous la forme plus discrète du Ministère de la Police (1796-1818), devenu enfin le Ministère de l’Intérieur.
Depuis quelques années, la crainte paranoïaque du complot a retrouvé sa forme originelle : le complotisme d’État républicain autour d’un nouveau complot fantasmé : celui du bloc d’extrême-droite (comprendre, suivant les circonstances : conservateur, réactionnaire, populiste ou nationaliste). Ce retour d’un « imaginaire du complot » date de la chute du communisme (1989) qui expliquait toute l’histoire du monde par une lutte incessante entre exploiteurs et exploités. L’écroulement de ce mythe créant un grand vide, on a vu resurgir la clé explicative de l’histoire des conflits de la société démocratique par l’imaginaire du complot – ou complotisme. Une nouveauté cependant : le complotisme d’État s’offre le luxe de troubler les esprits en inversant la réalité, il accuse ses opposants de complotisme !
Il est donc stratégiquement indispensable de comprendre la problématique actuelle du complot. Pour cela l’Action Française utilise l’apport de Marcel Gauchet du « complot imaginaire » et du « faux complot », venant enrichir le concept initial d’imaginaire du complot (complotisme).
Depuis la Révolution française, le pouvoir rend fou. C’est la folie de l’imaginaire du complot (les ennemis entourent la République) qui s’emballe lorsque les démocrates croient découvrir un complot imaginaire (l’extrême-droite va encadrer les Gilets jaunes pour prendre d’assaut le Ministère de l’Intérieur). En réalité, ce processus – qui va du complot imaginaire à la découverte d’un faux complot – révèle un pouvoir politique dépassé par le cours de l’histoire et donc en recherche d’explications pour éviter toute remise en cause de sa légitimité.
Le processus du complotisme d’État républicain n’en reste pas là, car les preuves du complot imaginaire sont toujours faibles (comme le fameux drapeau picard fleurdelisé des Gilets Jaunes, preuve des « menées » réactionnaires). Qu’à cela ne tienne, le pouvoir républicain a élaboré la tactique du faux complot. Il s’agit de la manipulation cynique d’une accusation de complot montée de toute pièce par la République contre des opposants dont on veut se débarrasser (attentat contre Blum de 1936 et intelligences avec l’ennemi de 1945), suivie d’un coup de force républicain. Dans cette tactique, le coup de force républicain constitue la phase ultime de l’instrumentalisation du faux complot. Le coup de force républicain – du moins dans sa forme défensive, car il existe aussi des coups de force républicains pour la conquête du pouvoir (Gambetta, De Gaulle, Macron…) – c’est la répression préventive de l’adversaire politique, préalablement diabolisé pour mieux l’éliminer. Ainsi en est-il de la loi d’exil des Princes Bourbon-Orléans en 1886, de la neutralisation de Boulanger en 1889, de la dissolution de la ligue d’Action Française en 1936, de l’interdiction du redoutable quotidien royaliste en 1945.
N’y aurait-il pas de complot royaliste ? Si, ou plutôt, il y a des « conspirations » royalistes, si on à ce terme le sens traditionnel d’un conflit politique visant à la prise du pouvoir, manifesté par une crise de brève durée autour de quelques événements. La conspiration des royalistes est donc un événement matériel. Les républicains ne parlent pourtant pas de conspiration mais de complot, notion légale depuis la loi de 1810 prévoyant le crime de complot contre la sûreté de l’État. Or ce crime déroge à toutes les règles de droit positif. La loi ne stigmatise ni l’exécution d’un coup de force, ni même sa tentative d’exécution (qui seules constituent l’attentat au sens légal), mais un projet collectif visant à changer le gouvernement. En fait, le complotisme républicain réprime une intention manifestée avant tout passage à l’acte. Le « complot légal » saisit le complot dans la pensée et dans la volonté des conspirateurs, ouvrant ainsi un large champ à une justice politique préventive.
Ainsi va le processus du complotisme d’État : de l’imaginaire du complot à la crainte paranoïaque du complot imaginaire, puis au montage du faux complot suivi de sa répression par le complot légal.
Pour les perplexes, il faut rappeler ce 4 décembre 2015, ou M. Jean-David Ciot, député d’Aix-en-Provence, avait demandé la dissolution de l’Action Française. Faut-il rappeler que la Commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France a rendu son rapport en juin 2019, il y a cinq mois… insistant sur le fait que « l’opposition à la République, à ses institutions et ses autorités constitue un autre marqueur idéologique important de ces groupuscules ». La « guerre de libération nationale du Pays réel » (expression de Pierre Debray!) n’a pas été oubliée : « À cet égard, s’exprimant au sujet du mouvement dit des Gilets jaunes, le secrétaire d’État auprès du ministère de l’intérieur a jugé que « la mouvance ultra s’intéresse à l’une des dimensions du mouvement en cours : sa revendication consistant à mettre à mal nos institutions, à s’en prendre à la République, à appeler à la démission du président de la République, à porter atteinte aux élus. Cette dimension peut s’inscrire dans un climat insurrectionnel et, de ce fait, incite les ultras à s’infiltrer dans les manifestations et à s’agréger au mouvement en vue de mettre à bas le système, puisque c’est l’un des objectifs des ultras de tous bords. » Oui, vraiment, le complotisme d’État a encore de beaux jours devant lui !