Par Frédéric Winkler
« Si l’on se représente tout un peuple s’occupant de politique, et depuis le premier jusqu’au dernier, depuis le plus éclairé jusqu’au plus ignorant, depuis le plus intéressé au maintien de l’état de choses actuel jusqu’au plus intéressé à son renversement, possédé de la manie de discuter les affaires publiques et de mettre la main au gouvernement ; si l’on observe les effets que cette maladie produit dans l’existence de milliers d’êtres humains ; si l’on calcule le trouble qu’elle apporte dans chaque vie, les idées fausses qu’elle met dans une foule d’esprits, les sentiments pervers et les passions haineuses qu’elle met dans une foule d’âmes ; si l’on compte le temps enlevé au travail, les discussions, les pertes de force, la ruine des amitiés ou la création d’amitiés factices et d’affections qui ne sont que haineuses, les délations, la destruction de la loyauté, de la sécurité, de la politesse même, l’introduction du mauvais goût dans le langage, dans le style, dans l’art, la division irrémédiable de la société, la défiance, l’indiscipline, l’énervement et la faiblesse d’un peuple, les défaites qui en sont l’inévitable conséquence, la disparition du vrai patriotisme et même du vrai courage, les fautes qu’il faut que chaque parti commette tour à tour, à mesure qu’il arrive au pouvoir dans des conditions toujours les mêmes, les désastres et le prix dont il faut les payer ; si l’on calcule tout cela, on ne peut manquer de dire que cette sorte de maladie est la plus funeste et la plus dangereuse épidémie qui puisse s’abattre sur un peuple, qu’il n’y en a pas qui porte de plus cruelles atteintes à la vie privée et à la vie publique, à l’existence matérielle et à l’existence morale, à la conscience et à l’intelligence, et qu’en un mot il n’y eut jamais de despotisme au monde qui pût faire autant de mal » (Fustel de Coulanges). L’Etat sert le citoyen en des cas où celui-ci devrait se servir lui-même. Il le déshabitue à la réflexion et à l’action personnelle. Il le déresponsabilise. De ce fait, l’homme apparait civiquement ignorant et par conséquence incompétent. La République est une mangeoire où se bousculent les corbeaux responsables de nos malheurs, c’est une dépouille, disait Montesquieu. Le comportement des candidats ressemble un peu trop souvent à celui des marchands du Temple. Le citoyen est traité en « éternel enfant » et les biens de la communauté sont gérés par d’autres que lui. L’isolement et l’individualisme le ramènent à l’état de dépendance, et la société « distractionnaire », selon la formule de Philippe Muray, le maintient dans cet état politique végétatif. Notre civilisation se meurt ainsi en sombrant dans le matérialisme…
Notre société dite évoluée dégénère et notre civilisation s’écroule. Que ce soit pour se vêtir, se nourrir, se soigner, construire, nous sommes arrivés au règne de l’objet, de l’inutile savamment devenu indispensable par la puissance de la mode comme de l’énorme appareil de propagande nommé publicité, générant les « besoins ». On accepte de vêtir ceux que l’on aime avec des produits dérivés du pétrole, coûtant peu et permettant d’équiper le plus grand nombre, de faire « plaisir » en offrant des «vêtements» bardés de publicité à ceux que l’on chérit, afin de faire de ceux-ci des panneaux publicitaires ambulants. Quelle réussite tout de même, quand on voit que des citoyens se battent même pour avoir l’honneur d’étaler à la vue du monde leur poitrail décoré du maillot d’une marque d’un capitaliste cossu.
Jadis on aurait fièrement porté ce qu’un proche, où nous-même aurait fait de ses mains, le résultat d’un travail, du sacrifice où de l’amour. Mais aujourd’hui le pouvoir de l’argent règne. Seuls dominent ceux qui mentent, volent et soumettent ceux qui les servent. Les gouvernements au service du nouvel ordre mondial manipulent les peuples, au nom d’idéaux soi-disant démocratiques mais dont le mensonge véhiculé ferait rêver les pires propagandistes. Les puissances mercantiles créent des besoins chez nos peuples gavés de matérialisme pour ainsi mieux assoir leur puissance et domination sur nos âmes asservies. Les yeux vides de tout idéal, les peuples se couchent vers la numérotation dans un esclavage consenti et feutré menant vers l’abime. Eloignons-nous des herbicides et pollutions diverses qui détruisent petit à petit nos gènes et la nature, pour le plus grand profit de trusts financiers. On redécouvre le label, le contact du consommateur, faut-il voir par-là, un retour aux valeurs du monde médiéval tant décriées ? L’intermédiaire à l’époque ne se servait que lorsque les citoyens s’étaient servis, mais les temps ont changés…
Injuste, le système l’est sans aucun doute ; mais le fait essentiel est qu’il s’attache à dépersonnaliser toute chose, à enlever toute signification aux actes de la vie, à anéantir toute valeur. Bien sûr, il sait aussi réprimer au besoin tout homme qui ose vouloir réclamer la justice et se prétendre libre, l’exemple des manifestations récentes, l’a démontré aisément. L’étatisme étouffe le pays, les prélèvements directs et indirects, plus ou moins dissimulés appauvrissent les citoyens. Cette dictature fiscale (locale, nationale, essence, TVA, cotisations sociales…) dépasse largement 50% d’un salaire et va dans les poches d’une République bananière. La consommation et l’épargne privée en sont d’autant diminuées, la pauvreté gagne la France et ne parlons pas du pillage des héritages dont l’Etat se permet sans aucun droit d’ailleurs, de mettre la main. Le salaire ne peut constituer de patrimoine car la subdivision successive l’en empêche, cela à un coût et d’abord sur la natalité découragée. C’est ainsi que se construit, selon la formule magistrale, une société programmée, planifiée, hyper-légiférée, en vue de la consommation et aboutissant au spectacle permanent, d’une vie artificielle comme idiote. Le système libéral est une vaste broyeuse de tout ce qui nous est cher. La destruction devient systématique : paysannerie, artisanat, petit commerce mais pas seulement : industries, sidérurgies, activités portuaires, productions qui faisaient la vitrine de la France, même les fabrications de luxe, souffrent. La politique économique menée par le libéralisme de l’homme-marchandise, juste bon à consommer et vivre dans un système dont la seule valeur est le règne de l’argent, est le pire des esclavages. Ce monde dans lequel nous vivons aujourd’hui, nous offre deux destinés possibles : Celui de vivre résigné, en esclave, ou celui qui consiste à reprendre son pouvoir de citoyen, décider et contrôler au lieu de ceux qui prétendent nous représenter ! Certes les « benêts » réclament une énième ripoublique, et pourquoi donc ? Changeons tout et libérons-nous, en revenant à un gouvernement plus juste, plus naturel et écologique, chevillé dans notre histoire et nos « tripes ». Laissons mourir cette caricature de gouvernement, sachant que toute tragédie comporte 5 actes et nous y sommes ! « Déguiser sous des mots bien choisis les théories les plus absurdes, suffit souvent à les faire accepter » (Gustave le Bon).