Par Olivier Perceval
Si on cherche une cohérence à la politique étrangère des Etats Unis depuis ces dix dernières années, on risque d’avoir mal à la tête. Mais après tout, c’est le prix à payer pour un système reposant sur des élections fréquentes et des mandats présidentiels courts. L’Etat profond, s’il est lui même influent, du fait de ces présidences à obsolescence programmée, reste néanmoins dans une position difficile et contrariée.
La brutale décision de supprimer le numéro deux du régime iranien, semble annoncer une nouvelle volte face de la présidence et peut être une première concession de celle ci à l’Etat profond , très néo-conservateur, lequel depuis des lustres veut en découdre militairement avec l’Iran.
Rappelons cependant que c’est le même Etat profond qui avait poussé Bush junior à abattre Saddam Hussein et mettre en place un pouvoir favorable aux Chiites ayant fait allégeance à la République Islamique d’Iran.
Comment un empire aussi puissant peut-il mener une politique étrangère aussi confuse avec des directions successives aussi contradictoires ?
Cependant, indépendamment de ces observations préalables sur l’incompréhensible stratégie américaine, gardons-nous bien de rejoindre le cœur des lamentations médiatiques sur l’acte de guerre mené par le président Trump que beaucoup semblent à tout prix vouloir déclarer fou.
Il est vrai que sa stratégie affichée et objectivement souhaitée contre ce régime pétrolier, était d’ordre économique et non militaire. Et cela fonctionnait assez bien.
Les manifestations d’opposants de plus en plus nombreuses et de plus en plus réprimées affaiblissaient le régime de façon dangereuse pour son maintien.
Mais en Irak, les agressions fréquentes des positions américaines par les milices chiites, puis de l’ambassade à Bagdad, fatale erreur pour l’opinion publique des Etats-Unis, obligeaient le président à frapper fort.
Les médias semblent dire que l’attentat contre le héros Iranien, le général Soleimani, soi-disant très populaire est une faute stratégique, car il risque de ressouder le pays et de redonner une légitimité au pouvoir affaibli des mollahs. Est-ce vraiment certain ? Ce n’est pas l’avis de tous les spécialistes.
Ainsi, la chercheuse iranienne Mahnaz Shirali, enseignante à Sciences-Po, à propos des grandes manifestations en Iran autour du cercueil du général, répond dans un entretien avec un journaliste de Marianne : « C’est d’abord l’Iranienne qui va vous répondre et celle-là ne peut que se réjouir de ce qui s’est passé. Je parle en mon nom mais je peux vous l’assurer aussi au nom de millions d’Iraniens, probablement la majorité d’entre eux : cet homme était haï, il incarnait le mal absolu ! Je suis révoltée par les commentaires que j’ai entendus venant de certains pseudo-spécialistes de l’Iran, le présentant sur une chaîne de télévision comme un individu charismatique et populaire. Il faut ne rien connaître et ne rien comprendre à ce pays pour tenir ce genre de sottises. Pour l’Iranien lambda, Soleimani était un monstre, ce qui se fait de pire dans la République islamique.
Quand on lui demande si c’est un coup dur pour le régime, elle répond :
« Évidemment, Soleimani en était un élément essentiel, aussi puissant que Khameini et ce n’est pas de la propagande que d’affirmer que sa mort ne choque presque personne. »
Elle ajoute un peu plus loin : « Je ne suis pas compétente pour juger de la politique de Donald Trump. Je peux juste faire quelques observations. Il a considérablement affaibli ce régime, comme jamais auparavant, et peut-être même a-t-il signé leur arrêt de mort. Nous verrons. Lors des manifestations populaires, à Téhéran et dans d’autre villes, les noms de Khameini, de Rohani, de Soleimani étaient hués. Il n’y a jamais eu de slogans anti-Trump ou contre les Etats-Unis.
Mais la situation désormais est explosive…
Probablement oui, hélas, ils n’abandonneront pas le pouvoir tranquillement, j’en suis convaincue. »
Comme le rappelle souvent Hubert Védrine en substance, la diplomatie ne consiste pas à réagir sur des critères du type : « je n’aime pas Poutine ou je n’aime pas Trump ». Nous avons à faire à des chefs de puissants états et devons nous garder de jugements idéologiques ou affectifs, a fortiori quand on est en responsabilité.