Europe : la leçon Capétienne
« L’Europe, comme civilisation, comme Histoire, est bien vivante, a tweeté le Prince le 12 février. Mais au lendemain du Brexit, l’Union Européenne doit s’interroger sur sa capacité à fédérer autour de seuls principes économiques ou supranationaux. »
La parole princière se fait de moins en moins rare, et nous ne pouvons que nous en féliciter ! Non que le comte de Paris soit amené à s’exprimer sur l’actualité pour s’exprimer : il n’est pas un commentateur politique, mais sa fonction est bien d’éclairer les Français sur les grands enjeux et les grands principes de la politique française. Comme il le soulignait en conclusion d’un texte remarqué, publié à la fin de janvier, sur son blog et intitulé : « Il nous faut retrouver le temps du politique » : « Il est urgent de ne plus attendre. La France a de nombreux atouts. Son existence millénaire lui donne une intelligence exceptionnelle des relations internationales et le fait qu’elle soit une grande nation sans volonté de puissance impériale devrait lui permettre de jouer un rôle décisif dans l’équilibre et la composition des États en vue des actions communes imposées par les impératifs sociaux et écologiques », alors que, « tenue par une Union européenne frappée d’inertie, [elle] ne sait pas comment jouer son rôle spécifique dans le concert des nations » [1].
Malheureusement, l’actualité nous donne un nouvel exemple de cette inertie liée à l’aveuglement de dirigeants français, obéissant aux « seuls principes économiques et supranationaux ». Le samedi 15 février, Macron, à la cinquante-sixième Conférence de Munich sur la sécurité, y est encore allé de son couplet sur « l’aventure européenne » et ses regrets sur le fait que le prétendu « couple franco-allemand » — on sait que l’expression est franco-française, les Allemands préférant parler du « moteur franco-allemand » (der deutsch-französische Motor) — ne produise pas davantage de fruits, en matière militaire comme en matière économique et financière. « Je n’ai pas de frustrations, j’ai des impatiences », a-t-il déclaré, appelant Berlin à « des réponses claires » afin de « donner une nouvelle dynamique à l’aventure européenne ». On comprend que les Allemands, gens raisonnables, n’aient pas envie de se voir entraîner par Macron dans une quelconque aventure, surtout en matière financière et militaire — nous passerons sur ce que peut avoir de symptomatique l’expression « avoir des impatiences » utilisée par le fondateur des Marcheurs, puisqu’elle vise au sens propre un trouble neurologique causant un besoin irrépressible de bouger les jambes.
Dans notre précédent éditorial, nous citions ces propos du Prince tenus dans L’Incorrect : « La difficulté de la France, souvent » — il parle de ses dirigeants — « c’est de chercher l’intérêt de l’Europe avant ses propres intérêts ». Or « il faut que le gouvernement regarde l’intérêt de notre nation avant tout. C’est sa première responsabilité pour moi. » Macron nous livre tous les jours un exemple catastrophique pour notre pays de cette « difficulté » de nos dirigeants à concevoir l’intérêt français avant un hypothétique intérêt européen : lui seul croit en l’existence d’un projet européen partagé par nos vingt-six partenaires, alors que ces derniers voient, avant tout, dans l’ « Europe » une organisation dont ils cherchent à retirer pour eux le maximum de profit, en matière économique et …militaire, justement, puisque qui dit Europe, dit OTAN, à savoir les États-Unis.
Macron, qui est si fier d’avoir fait succéder le traité d’Aix-la-Chapelle à celui de l’Élysée, s’étonnerait moins du refus des Allemands de s’embarquer dans une quelconque « aventure » européenne si ses connaissances historiques remontaient, justement, jusqu’à 1963 : le Parlement allemand, en ratifiant le traité de l’Élysée, le fait alors précéder d’un préambule, qui rendit furieux De Gaulle, visant à affirmer que le partenariat franco-allemand s’inscrivait dans « le renforcement de l’Alliance des peuples libres et, en particulier, une étroite association entre l’Europe et les États-Unis d’Amérique », et concevant « la défense commune dans le cadre de l’Alliance de l’Atlantique nord et l’intégration des forces armées des États membres du pacte ».
De même, le président français s’est félicité des propos tenus la veille par son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, acceptant sa proposition de « dialogue stratégique sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans [la] sécurité collective » de l’Europe — un dialogue qui, à lui seul, s’il était effectif, remettrait en cause notre souveraineté atomique par l’extension à l’Union européenne de la défense du pré carré. Or son homologue allemand a aussitôt ajouté : « Il ne suffit pas de renforcer l’Union européenne dans le domaine militaire, nous devons aussi continuer à investir dans le lien transatlantique », ajoutant : « La sécurité de l’Europe est basée sur une alliance forte avec les États-Unis. » On comprend pourquoi certains parlementaires conservateurs allemands proposent déjà de placer l’arsenal nucléaire français sous commandement commun de l’OTAN ou de l’Union européenne… Macron a ouvert la boîte de Pandore. Et, parce qu’il est européen avant tout — « Je ne suis pas prorusse, je ne suis pas antirusse, je suis pro-européen ! », a-t-il martelé. —, on peut se demander, en effet, s’il n’est pas prêt à livrer notre arsenal nucléaire au commandement de l’OTAN. Le fait qu’il invite nos « alliés de l’OTAN » dans le saint des saints nucléaire, la base de l’île Longue, à Brest, est-il la première étape de ce renoncement à notre souveraineté atomique ? En tout cas, à la différence de 1963, où le Bundestag réclamait déjà cette intégration, la question se pose pour l’actuel locataire de l’Élysée. Bientôt suivrait évidemment notre siège permanent au Conseil de sécurité. Macron est prêt à tout pour donner des gages « européens ».
La situation actuelle a une histoire. Elle commence non pas tant avec Giscard, qu’avec Mitterrand et le traité de Maastricht, qui, faut-il l’oublier, en transformant la Communauté européenne en Union européenne, fut le premier acte de notre perte de souveraineté politique et monétaire — c’est le traité de Maastricht qui fonda aussi l’euro. Le Prince, dans sa tribune publiée sur Marianne le 13 mai dernier, à l’occasion des élections européennes, rappelait que son grand-père déplorait « le « déficit démocratique » […] après le traité de Maastricht ». Or, de fait, le comte de Paris n’avait pas attendu les effets de Maastricht pour dénoncer le traité : il les avait prévus. Il avait publié, le 2 septembre 1992, dix-huit jours avant le référendum, une déclaration appelant les Français à « sauver la France » en votant massivement contre le traité. « Le “oui“ proposé par l’élite politique en faveur de Maëstricht, notait-il, est la “fuite en avant” que nos hommes politiques ont presque toujours préférée au courage de mettre en place les urgentes et indispensables réformes pour assurer la rénovation du destin de la France. Votre “non” massif sauvera la France. Libérée, elle sera en mesure de négocier, à nouveau, comme l’avait fait préalablement la Grande-Bretagne, les clauses du traité de Maëstricht qui entravent notre souveraineté nationale. »
Aujourd’hui, le Royaume-Uni a recouvré son indépendance. La France, si elle avait refusé Maastricht, serait peut-être encore au sein de la CCE, mais celle-ci serait différente de ce qu’elle est devenue, avec l’euro, puis le carcan supplémentaire du traité de Lisbonne. Ceux qui, à l’époque, préférèrent suivre, plutôt que le capétien, le politicien, plutôt que le comte de Paris, Mitterrand, portent une lourde responsabilité morale. Mitterrand, dans un de ses sophismes qu’il chérissait, déclarait alors : « La France est notre patrie ; l’Europe est notre avenir. » Le disciple dépasse le maître : pour Macron, qui n’obéit qu’à des « principes supranationaux », pour reprendre les mots du Prince, non seulement l’Europe est toujours « notre » avenir, mais elle est aussi devenue « notre » patrie. La lutte est plus rude qu’en 1992 et qu’en 2005. Cette fois, que les Français écoutent le Prince : qu’ils se ressaisissent en ne se laissant plus duper par les sirènes du renoncement.