Par Éric Bianchi, Médecin-chef, spécialiste MPR
Notre ami, le docteur Éric Bianchi, nous donne des nouvelles du front et nous dresse un tableau accablant du système hospitalier en crise, victime du mépris des technocrates de Bercy aux ordres du gouvernement, lequel nous enjoint avec condescendance d’être responsables.
J’écris ce jour, samedi 21 mars à 19h alors que la crise évolue de manière majeure et accélérée. Faire un point semble difficile car tout change trop rapidement. Actuellement même si la situation n’a rien à voir, comme nos ainés nous faisons front unis pour les nôtres, nos patients, nos familles mais nous n’oublierons pas et à la fin certains devront rendre des comptes. Alors quelques anecdotes personnelles pour accompagner mon propos. Début février, un collègue franco-chinois a commencé à nous alerter sur ce qui se passait dans le Wuhan. A vrai dire cela nous semblait lointain et échaudé par l’expérience du H1N1 nous sommes restés dans l’attente. Une attente prudente car nous avons commencé à travailler sur les mesures à prendre dans notre centre. Je travaille dans un SSR spécialisé de 170 lits recevant de la neurologie et des affections de l’appareil locomoteur (amputés, polytraumatisés, orthopédie complexe) avec un secteur EVC-EPR (états végétatifs chroniques et état pauci-relationnel). Nous avons identifié nos risques et développé des réponses. Fin février, début mars devant l’explosion italienne, nous savions ce qui nous attendait. Nous avons commencé à demander des mesures, l’état des stocks etc… Il a fallu, un long combat mené par tous les médecins pour être entendus. Un combat mené contre une hiérarchie et contre les instances comme l’ARS. Un exemple, nous avons un hôpital de jour (72 patients entrants et sortants par jour) pour diminuer les risques, nous avons demandé sa fermeture le 10 mars. Approuvée dans un premier temps, démentie ensuite, elle n’a été effective que le 16 mars. Notre directeur a choisi de jeter sa carrière aux orties en désobéissant à sa hiérarchie pour suivre nos recommandations, grâce lui soit rendue ici. Le 18 mars, l’ARS lui signifiait qu’aucun élément ne justifiait la fermeture de l’hôpital de jour, sa hiérarchie régionale lui demandant de rendre des comptes par écrit. Bref on marche sur la tête. La libération de lits, laissés vide pour préparer l’arrivée de malades infectés a été arrachée de haute lutte alors que le 19 mars, notre administration nous mettait encore la pression sur le remplissage et la rentabilité. La pénurie d’EPI (équipement de protection individuelle) est l’élément majeur. Si nous donnons un masque à tout le monde, en l’absence actuelle de cas au sein de l’établissement, juste pour éviter d’importer le virus, nous avons une réserve de 4 jours. Si nous avons des cas en interne ou importés des hôpitaux, il faudra des sur blousesjetables, nous en avons 50 (il faut changer à chaque soin), des lunettes quelques dizaines, les gants c’est limite aussi, les charlottes c’est bon (ouf il ne passera pas par les cheveux) Donc sauf livraison inattendue, tous les fournisseurs étant en rupture de stock, nous avons une petite semaine en stock, après il faudra y aller avec les moyens du bord. Pour mon épouse son EPAHD est « bunkerisé » pas de cas mais même problème, 80 pensionnaires+ personnels = 150 masques en stock, demande de réapprovisionnement fait depuis plus de trois semaines. Pourquoi cette pénurie alors que nous savions ce qui allait venir ? Pourquoi les fabricants de masques n’ont pas reçu de réponse à leurs alertes et à leurs demandes de commandes anticipées ? Pour les tests, ils sont quasiment impossibles à faire. Malgré les recommandations même le personnel de santé malade n’a pas pu se faire dépister. Aujourd’hui nous pouvons le faire en laboratoire de ville, temps de réponse 2 jours, demandes limitées. De toutes façons au-delà de trois cas positifs, l’établissement sera considéré comme contaminé et plus aucun test ne sera effectué. Alors les chiffres du bilan ? Le nombre de contaminés est forcément faux et sous-estimé en l’absence de test. Il serait ce jour plutôt de l’ordre de 100 000. Le nombre de mort, il ne tient compte que des morts hospitaliers. Le nombre d’hospitalisation, les + de 75 ans ne peuvent plus être admis à l’hôpital. Nous avons assisté à une totale soviétisation de la communication avec des chiffres faux, des arguments scientifiques s’inventant au fur et à mesure pour justifier la pénurie d’équipements et de tests. Et encore je ne vous ai pas parlé de la pénurie de respirateurs de réanimation qui s’annonce. Les lits d’hospitalisations qui manquent sont ceux supprimés par les différents gouvernements. Les moyens qui manquent sont ceux « économisés » par les différents gouvernements. Les chefs qui manquent ou qui aujourd’hui font défaut sont ceux qu’on a mis en place pour museler le personnel médical. Oui quand tout cela sera fini, il faudra rendre des comptes. Il faudra se souvenir de cette catastrophe annoncée. Prenez soin de vous et de vos proches, restez chez vous. C’est en faisant barrière pour soi que l’on protège la communauté.