Par Germain Philippe
La technocrature, maladie sénile de la démocratie : (13/14)
Le coup « par le haut »
Au début 2016, pour déployer son scénario dégagiste, l’Etablissement à besoin d’un présidentiable incarnant son projet. Les influenceurs Alain Minc et Jacques Attali lui proposent Emmanuel Macron, Technocrate sortie de l’ENA, banquier d’Affaire, ancien secrétaire-adjoint de l’Élysée et actuel ministre de l’économie. Celui-même qui au mois de mars 2016 présente François Hollande comme « le candidat légitime » de son camp. Pourtant, un mois après, Macron annonce sa volonté de se présenter à l’élection présidentielle. Minc et Attali ont exécuté la phase décisive du scénario. Une équipe de campagne est discrètement constituée de technocrates issus des cabinets ministériels. Fin aout Macron démissionne du gouvernement. L’acteur du futur « hold-up démocratique » est en place.
La seconde phase du scénario est celle du déblaiement. Celle du « modèle de révolution gantée » dirait Charles Maurras. C’est une séquence très courte. En novembre 2016 Macron annonce formellement sa candidature et à la stupéfaction générale, quatorze jours plus tard Hollande renonce à se représenter. Les amateurs de Si le coup de force est possible (1908), reconnaissent dans le président de la République, le Monk permettant à la Technocratie de sauver le pays légal affaibli. Effectivement le désistement du Président de la V° République s’apparente au « coup n° 1 ». Celui-ci, précise Maurras, est « frappé d’en haut » soit par le maitre de l’heure, le chef d’Armée, ou par le chef de l’Etat. Par son renoncement inédit dans l’histoire de la V° République, le chef de l’Etat ouvre la voie au scénario dégagiste des dynasties républicaines.
Pour Maurras, une révolution par le haut suppose « un minimum d’action secrète joint à un capital d’efforts antérieurs ». L’action secrète ? Probablement celle des commis de l’Etablissement persuadant Hollande qu’il était préférable pour lui de miser sur une réélection en 2021. Le capital d’efforts antérieurs ? C’est la mise au point par Hollande, d’une cellule clandestine à l’Elysée et d’une « bande de conspirateurs vigilants » s’appuyant sur quelques policiers et juges. Ces « comparses d’histoire rodant derrière le théâtre » permettront de disqualifier l’adversaire conservateur dès le premier tour pour faire profiter Macron au second, de l’effet plafond de verre du national-populisme.
Structure clandestine et moralisation
Comme le centre-gauche, le centre-droit à organisé des primaires pour redorer l’image ternie de l’élite politique. Entre la candidature de Macron et le renoncement de Hollande, « la Droite et le Centre » s’est choisi François Fillon comme incarnation.. C’est une surprise car les sondages ont longtemps donné une large avance pour Juppé-Sarkozy et la remontée du vote Fillon a atteint son score le plus haut avec 30 % d’intentions de vote, restant 14,1 points en dessous de son résultat au premier tour. Au second 66,49% des votes militants se portent sur lui. L’homme a utilisé les catholiques de la Manif Pour Tous – réduite à Sens Commun – pour gagner la primaire de la droite. Les catholiques conservateurs savent se montrer efficaces depuis que leur échec face au mariage homosexuel leur a fait comprendre la nécessité de s’organiser en minorité active. En réalité Fillon est leur faux champion et Mathieu-Bock-Côté peut dire : « C’est ainsi qu’on a transformé en certains milieux la candidature de François Fillon en occasion de renaissance conservatrice pour la France. C’était un peu malgré lui : I ‘homme ne s’était jamais reconnu dans cette vocation providentielle de sauveur de la civilisation. On I ‘a pourtant imaginé dans ce rôle… Étrangement, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy devenait I ‘homme du grand refus. On misait sur lui pour renverser l’époque.1 »
Pour réaliser la troisième phase de son coup de force démocratique, l’Etablissement va solliciter l’élite médiatique. Celle-ci recevra les dossiers occultes de la « police politique » jadis dénoncée par Léon Daudet2. Les accusations seront étayées par une judicature « aux ordres », validant le précepte d’Action française : par tous les moyens, même légaux . Le dossier a déjà été constitué par la structure clandestine montée par l’Elysée qui a la capacité d’orchestrer des affaires judiciaires pour éliminer des adversaires. Cette structure démasquée par l’ouvrage Bienvenue place Beauveau3, articule le service de renseignement financier de Bercy, la Direction des Affaires Criminelles et des Grâces, des magistrats – recevant de l’Elysée des consignes orales – alimentés et épaulés par des d’officiers de police judiciaire en poste à l’Office central de lutte contre la corruption, les infractions financières et fiscales. Comme les choses sont bien faites – ne parlons pas de complot car le mot est réservé aux ennemis du Système –, le patron de Bercy est Michel Sapin, un ami de quarante ans de Hollande ; le coordinateur du renseignement est Yann Jounod, un préfet socialiste ; le patron de la DACG, Robert Gelli, a partagé la chambrée de Hollande et Sapin lors du service militaire. Cette structure, Hollande va la mettre au service du scénario « dégagiste », pour éviter qu’un successeur mal intentionné ne cherche à faire un bilan de son quinquennat.
Le dossier servira de point d’appui au levier de la campagne électorale. Celui-ci a été déterminé par une méthode de la technocratie américaine. Les algorithmes, appliqués sur le Big Data constitué par enquêtes auprès du pays réel, conseillent la moralisation politique comme levier. Pour dégager l’élite politique, ce vieux monde des « tous pourris », il faut un « nouveau monde » qui moralisera la vie politique. Voilà le levier que l’élite médiatique doit actionner sur le point d’appui des dossiers fournis par la structure clandestine à la judicature aux ordres. Les médias placeront au premier plan les problèmes de morale politique de Fillon en minimisant ceux de Macron. Une fois au pouvoir il sera toujours temps de renoncer à l’expression « moralisation de la vie publique », qui avait quelque chose de noble, de grand, annonçant comme une vaste opération de nettoyage des écuries d’Augias.4 pour le transformer en un vaseux projet de « loi pour la confiance dans notre vie démocratique ».
La prophétie réalisée
Pour actionner le levier moralisation, les servants seront ceux de l‘artillerie médiatique, les intellectuels de notre époque. Si l’on veut comprendre l’élite médiatique on doit visualiser le documentaire Les nouveaux chiens de garde5 réalisé en 2012. Non pour son évocation d’Alain Minc et de Jacques Attalli mais parce qu’il confirme le bien fondé du livre prophétique (1903) de Maurras L’avenir de l’Intelligence, dans lequel il annonça le temps ou « les places, le succès ou la gloire récompenseront la souplesse de l’histrion : plus que jamais, dans une mesure inconnue aux âges de fer, la pauvreté, la solitude, expieront la fierté du héros et du saint : jeûner, les bras croisés au-dessus du banquet, ou, pour ronger les os, se rouler au niveau des chiens 6». Les intellectuels sont bien ces histrions se roulant tellement au niveau des chiens que dans sa présentation Les nouveaux chiens de garde, il les symbolise se jetant sur les sucres lancés… l’élite financière, ces « maitres de l’Or ».
Cette artillerie médiatique sera financée par certaine entreprises et personnalités du monde des affaires, identifiées dans le dossier « Le Système et ses connivences7 » du mensuel Monde et Vie de Guillaume de Tanouarn, qui ne fait pas mystère de son maurrassisme. Il cite Pierre Bergé, Xavier Niel (Free), Marc Grossman (Célio), Claude Bébéar (Axa), Matthieu Pigasse (Banque Lazare), Marc Simoncini (Meetic), Didier Casas (Bouygues), Alexandre Bompard (Darty, FNAC), Henry Hermand et ceux qui ont placé leurs hommes auprès de Macron : Drahi (numéricable, SFR) avec Bernard Mourad ( Morgan Stanley), puis Bernard Arnault (LVMH) avec Denis Delmas (TNS Sofres). Avec leur soutien, Macron n’aura pas à bourrer les urnes car les médias vont bourrer le crane des citoyens. Ces médias sont : La dépêche du Midi, le Groupe Canal+, BFMTV, Libération, L’Express, Stratégies, Le Parisien, les Echos, Les Inrocks, radio nova, Le Monde et l’Obs…. Et Richard Dalleau précise dans Monde&Vie : « La majorité des médias est désormais entre les mains de huit grands groupes industriels et financiers, pour qui ils sont de naturels débouchés publicitaires, mais surtout de formidables outils d’influence.8»
L’artillerie médiatique
Sans fantasmer, apprécions la cohérence des dates, quant à la préparation d’artillerie médiatique et juridique contre Fillon. Le Canard enchaîné du 25 janvier 2017 utilise le dossier de la structure clandestine pour affirmer que Penelope Fillon, est rémunérée fictivement pour un emploi d’attachée parlementaire auprès de son mari. Le jour même, le levier de la moralisation de la vie publique est activé par le parquet national financier (PNF) ouvrant une enquête préliminaire pour détournements de fonds publics, abus de biens sociaux. Le 1er février, le dossier permet au Canard de revoir à la hausse les salaires de Penelope et de mentionner une somme versée à deux de ses enfants. Fillon est mis en examen le 14 mars pour « détournements de fonds publics » et « manquements aux obligations de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ». Grace au dossier, l’enquête s’étend le 16 mars aux costumes de luxe offerts avec un réquisitoire pour « trafic d’influence ». Les juges nourrissent les médias leurs permettant de discréditer le principal obstacle de l’élite politique entre Macron et l’Élysée. Cela crée un bruit médiatique évitant d’aborder le débat sur les soucis du pays réel. Pour alimenter le spectacle, des manifestation « citoyennes » accueillent Fillon dans ces déplacements avec cris, pancartes et concert de casseroles. Si nous suivons Dalleau dans Monde&Vie d’avril 2017 : « Le traitement médiatique des affaires pendant la campagne aura été particulièrement révélateur de ce soutien [à Macron]. Trafic de médailles, déclaration de patrimoine à trous, frais de bouche de Bercy… la litanie des casseroles macronniennes, sitôt sorties dans la presse, sitôt enterrées par des démentis du candidat pris pour argent comptant par nos confrères donne le vertige…À l’inverse, pour Fillon, pas une semaine sans que Le Canard ne sorte un nouvel épisode du Penelope s’Gate, du Costume s’Gate et pourquoi pas du Caleçon s’Gate. Il fallait en général moins de 24 heures pour que le moindre rebondissement judiciaire aboutisse dans les médias… et là, le sens critique de nos confrères vis-à-vis de la défense était bien affûté. »
A la date symbolique du lundi de Pâques, Monseigneur le comte de Paris – s’inscrivant ainsi dans la « ligne » protectrice et conservatrice d’Henri V, de Philippe VII, de Philippe VIII, de Jean III – apporte officiellement son soutien au candidat conservateur, « compte tenu de la gravité de la situation pour notre pays ». Ce grain de sable de la vieille France n’est pas en mesure d’enrayer le coup n°1. Au premier tour de la présidentielle, les conservateurs atteignent 20,01% et sont donc dégagés de justesse. C’est l’heure de vérité sur l’état véritable de la guerre culturelle et Mathieu Bock-Cotê explique : « La candidature Fillon était aussi perçue comme I ‘aboutissement d’un bouillonnement idéologique de plusieurs années, ayant entrainé la renaissance politique du conservatisme. On se racontait des histoires. Car si la présidence Hollande constituait une image navrante de la gauche, le progressisme n’en conservait pas moins l’hégémonie idéologique. La multiplication des éditorialistes et intellectuels en dissidence avec le politiquement correct témoignait certainement de la contestation de ce dernier mais pas de son effondrement.9 » Pour gagner la Guerre culturelle, la métapolitique est insuffisante et il faut disposer d’une doctrine politique cohérente, issue d’une synthèse idéologique adaptable aux évolutions du temps. Ce n’est pas le cas du conservatisme. L’ouvrage est devant lui. En revanche si nous suivons Bock-Coté : « Si l’effondrement de la campagne de François Fillon a été une catastrophe pour le camp conservateur renaissant, il a surtout permis au système médiatique de reprendre le contrôle des termes du débat public qui lui avait échappé. Depuis quelques années, la vie politique avait été à ce point réoccupée par les préoccupations populaires que les médiacrates en devenaient fous. Ils avaient décrété que les aspirations identitaires et sociétales mobilisées dans la vie politique traduisaient des paniques morales encouragées par le machiavélisme populiste. L’immigration, l’identité, la mutation anthropologique : ils voyaient dans ces thèmes émergents la preuve de l’offensive conservatrice qu’il faudrait contenir et renverser. 2017 a permis ce renversement. » Le jugement est rude mais peut-être salutaire.
Pôles idéologiques
Le candidat sorti du chapeau du pays légal atteint 24,01%. La candidate national-populiste n’est qu’en seconde position avec 21,30%. L’élite politique socialiste est spectaculairement dégagée avec 6,6% tandis que la France Indigéniste crée la surprise avec 19,58%. Il faudra nous interroger sur le pole idéologique qui l’a rallié ; ce pole que Michel Michel nomme « le pôle islamiste10 ».
Le second tour ne va être qu’une formalité compte tenu de l’instrumentalisation de la peur mise au point par certains clubs de pensée et laboratoires d’idées comme Bruegel ( think-tank européiste), la Fondation Jean Jaurès ( du P.S.), Terra Nova (progressiste), mais aussi par des tètes chercheuses comme Jacques Attali (libéral libertaire), Louis Gallois (gauche), Alain Minc (libéral), Laurent Brigogne (patronat). La dernière phase du coup de force démocratique s’appuie obligatoirement sur le combat culturel préparé idéologiquement par une minorité active. Cette minorité soutient l’externalisation des fonctions souveraines de l’État vers des instances supranationales (Union européenne, OTAN, TAFTA, etc.). Son libéralisme/libertarisme s’accorde avec la philosophie contractualiste de ce que l’Action française nomme le « pôle idéologique des valeurs républicaines » qui « réactualise le vieux courant du « contrat social » du XVIIIe siècle. Il s’agit d’émanciper l’individu des déterminations qu’il n’a pas choisies : déterminations sociales, culturelles, familiales, voire « naturelles » (cf. la dénonciation des « stéréotypes de genre »). Pour ceux-ci, la nationalité française ne se fonde pas sur l’appartenance à un groupe humain déterminé, mais sur l’adhésion aux grands principes du mouvement révolutionnaire : universalisme, égalitarisme, laïcisme… La France est moins la patrie des Français que celle des « droits de l’Homme » (avec un H majuscule) 11»
Au second tour de la présidentielle la candidate populiste atteint un maigre 33,9 %. L’Etablissement est certes sauvé par la Technocratie, mais plus fragilisé qu’il ne l’imagine et la perspicace Elisabeth Lévy ironise « Le Système est mort, vive le Système ! » Ce Système « n’est pas un complot de forces mauvaises mais une coalition de pouvoirs qui se survit à lui-même en se réincarnant. » Ce Système, l’Action française le nomme pays légal et les pouvoirs évoqués par la directrice de Causeur sont regroupés dans « l’oligarchie circulaire à quatre élites », maintenant bancale. L’Action française est en phase avec Elisabeth Lévy écrivant : « Emmanuel Macron a été porté au pouvoir par une révolution dynastique favorisée par le fait que les vieux partis n’étaient plus des faiseurs de rois. Mais il n’est pas là pour renverser la table, plutôt pour la stabiliser et, si possible, mieux la garnir que ses prédécesseurs… 12» Ces dynasties, avec Pierre Debray, l’Action française les nomme : les dynasties républicaines. Pour le moment elles dominent encore le pays réel étrillé mais la Technocratie est-elle en mesure de garder le pouvoir ?
Germain Philippe (à suivre)
1 Mathieu Bock-Côté, « Chronique d’une élection qui n’a pas eu lieu », Causeur n°46, mai 2017.
2 Léon Daudet, La police politique, Edition Denoel Steele, 1934.
3 Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbé, Bienvenue place Beauvau, Robert Laffont, 2017.
4 Alain Hasso, « Nos premier pas en Macronie », Monde et Vie n°941, juin 2017.
5 Le film explore les collusions entre l’élite médiatique et l’élite politique. Il obtint deux récompenses et fut finalistes du César du meilleur film documentaire.
6 Charles Maurras, L’Avenir de l’intelligence, édition de 1922, Nouvelle Librairie Nationale, préface de l’édition définitive, p. 5.
7 « Le dossier et ses connivences », Monde&Vie n°937, mars 2017, p.14-15.
8 Richard Dalleau, « Bienvenue dans la post-démocratie », Monde&Vie n°939, avril 2017.
9 Mathieu Bock-Côté, idem.
10 Michel Michel, « Les Gilets jaunes – quelle idéologie ? », La Nouvelle Revue Universelle n° 57, 2019, p.50-51
11 Michel Michel, idem, p.49-50.
12 Elisabeth Lévy, « Recomposition française », Causeur n°46, mai 2017.