Par Christian Franchet d’Esperey
Voici le premier papier d’une série de cinq rubriques extraites de l’éditorial du n° 58 de la Nouvelle Revue Universelle, fondée par Jacques Bainville en 1920.
Cela fait près de soixante-dix ans que Maurras a disparu. En janvier 1945, la justice française, à laquelle il n’a jamais tenté de se soustraire – à aucun prix il n’aurait émigré, l’idée de l’exil l’horrifiait : plutôt mourir sur place ! –, l’a condamné, puis a rejeté tous ses recours. Son image reste lourdement entachée par cette condamnation pénale, parfaitement injuste et injustifiable sur le fond, mais prononcée dans des circonstances ambiguës qui permettent encore de la prétendre « explicable ».
Au-delà ou plutôt en-deçà de cette condamnation, l’image de Maurras est marquée par son « antisémitisme d’État » remontant à l’affaire Dreyfus. Elle l’est aussi par ses positions après l’invasion allemande de 1940 : convaincu que Pétain était le seul à pouvoir maintenir l’unité des Français face à la puissance occupante, et que cette unité était la condition sine qua non d’un véritable relèvement de la France, il a été hostile aux actes de résistance qui brisaient cette unité, ce qui a servi de prétexte à l’accusation d’avoir de facto collaboré avec l’ennemi. Et dans le contexte de l’occupation militaire du pays par les Allemands, son antisémitisme purement politique a été, contre toute vraisemblance, présenté comme complice de la Shoah. Il faut balayer tout cela si l’on veut aujourd’hui parler, en toute vérité et sans complaisance, de ce qui nous paraît critiquable dans l’antisémitisme de Maurras.
Mais d’abord une question qui n’a rien d’illégitime : même en supposant ces accusations sans fondement, est-il opportun, dans des conditions aussi défavorables, devant la constance, la convergence et la virulence de ces attaques, de continuer à se référer à lui ? Si nous sommes de ceux qui, à cette question, sans hésiter, répondent oui, ce n’est pas par attirance pathologique pour une cause perdue, ni par empathie pour la victime d’un déni de justice, pas non plus par intérêt pour un sujet de thèse universitaire, ni par inclination esthétique pour une figure d’un autre temps, et moins encore par entretien nostalgique du souvenir d’un cher disparu. Si nous estimons nécessaire de nous référer à ce Provençal destiné à devenir marin et dont seule la surdité a fait un Parisien, c’est parce que nous avons pris une claire conscience de l’importance des découvertes capitales que cet homme a effectuées et énoncées à l’orée du XXe siècle. S’opposant frontalement aux dogmes du siècle des Lumières et de la Révolution, il a, le premier, du moins avec cette hauteur de vue et cette puissance démonstrative, prouvé qu’il y avait une autre voie mieux à même d’assurer la prospérité de la France et le simple bonheur des Français. Et que, dans sa simplicité, son humilité même, cette voie revêtait une dimension universelle.
CHRISTIAN FRANCHET D’ESPÈREY, rédacteur en chef de la Nouvelle Revue Universelle
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