La complexité apparente de la notion d’empirisme organisateur est déroutante. Cette méthode de construction doctrinale fait cependant l’originalité et la force de l’Action française comme école de pensée.
Genèse d’une méthode
Constatant la profonde division de l’esprit français au tournant des XIXe et XXe siècles, et postulant l’impossible retour de la chose publique sans doctrine, Maurras chercha une méthode pour jeter les bases de sa réflexion politique. Il emprunta l’expression d’ « empirisme organisateur » au critique littéraire Sainte-Beuve (mort en 1869) ; connu pour son absence d’esprit partisan, sa promotion du primat de l’expérience et son souci de rechercher les contradictions de tous les courants littéraires, politiques, ou philosophiques. L’empirisme organisateur se veut donc une démarche intellectuelle susceptible d’être acceptée par tous les Français, quel que soit leur parti, quelles que soient leurs croyances, ou quels que soient leurs préjugés, ainsi qu’un instrument d’une réforme intellectuelle et morale. Cette méthode se nourrit également de la pensée traditionnelle (antique et médiévale), contre-révolutionnaire et du positivisme d’Auguste Comte.
La raison et l’expérience
L’empirisme organisateur consiste à analyser le passé de manière critique, tant pour comprendre le présent que pour dégager de grandes lois de l’histoire. Comme le résume Maurras : « Notre maîtresse en politique, c’est l’expérience ». Aussi, les institutions sociales doivent être le fruit d’une sélection opérée par les siècles. L’empirisme organisateur peut donc se définir simplement comme « la mise à profit des bonheurs du passé en vue de l’avenir que tout esprit bien né souhaite à son pays ». Cette logique conduit Maurras à conclure à la monarchie.
L’empirisme organisateur implique également un principe d’ouverture consistant à accepter les observations valables d’où qu’elles proviennent, en examinant seulement leur rapport avec la réalité des faits. Enfin, d’une façon générale, il impose de ne jamais quitter la mesure rationnelle des possibles.
Conséquences et applications
L’empirisme organisateur donne au royalisme d’Action française son efficacité. Contrairement au royalisme du XIXe siècle, celui-ci ne se contente pas de la tradition (remise en cause a priori par certains courants intellectuels) non plus qu’il ne s’appuie sur la Providence ou le droit divin : il allie la tradition à la volonté. C’est ainsi que Maurras affirme que « toute tradition est critique ».
Le primat de l’expérience conduit à la critique de la démocratie parlementaire, dans laquelle le pouvoir dépend des suffrages, donc de l’opinion et de ses variations, condamnant le régime au présentisme. Maurras y dénonce d’ailleurs un « régime d’amnésie ». La monarchie au contraire, présente l’avantage de rendre l’exécutif indépendant de l’opinion et de ses passions. Enfin, du fait qu’elle pousse le souverain à inscrire son action dans la continuité de celle de ses prédécesseurs (qu’il la poursuive, l’amende ou l’interrompt), elle se trouve être elle-même un produit de l’empirisme organisateur.