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Comment la France peut-elle recouvrer sa souveraineté sanitaire ?

Par Emmanuel Crenne (paru dans la Tribune)

OPINION. Et pourquoi pas constituer un Fond stratégique pour retrouver en France une souveraineté en matière sanitaire ? Il aurait pour mandat de constituer des stocks stratégiques, de sécuriser les approvisionnements, de soutenir les champions industriels du secteur comme les startups… Par Emmanuel Crenne, ancien banquier de Deutsche Bank, Merrill Lynch et Goldman Sachs, directeur général et fondateur du cabinet BORG Associates – société de conseil financier et en gestion de projet basée aux Emirats Arabes Unis de capital 100% français (www.borgadvisors.com).

La crise du Covid-19 a révélé la dépendance d’un certain nombre de secteurs industriels français, dont celui de la santé, vis-à-vis de pays étrangers, comme la Chine et l’Inde, mettant en péril la santé de nos concitoyens. De façon relativement consensuelle sont incriminées la désindustrialisation excessive liée à la mondialisation, l’effacement de l’Etat dans ses prérogatives régaliennes, et des structures de décisions publiques et privées inadaptées et mal contrôlées par les gouvernements français successifs.

De nombreux pays, dont la France, ont afirmé leur volonté de revoir leurs échanges extérieurs pour recouvrer une partie de leur souveraineté dans le domaine sanitaire. Mais, dans une économie multipolaire et mondialisée, avec une grande complexité de structure de la chaîne de valeur dans les différents secteurs industriels et l’interdépendance de nos entreprises avec l’extérieur, comment penser cette souveraineté, quels outils faut-il mettre en place et comment les financer, dans un contexte de fortes contraintes budgétaires ? Comment privilégier la santé et la sécurité des Français, et en même temps éviter un repli protectionniste qui pourrait être préjudiciable à la position internationale de la France et de ses entreprises, en s’inscrivant dans un cadre européen et international d’échanges ?

Une stratégie à mettre en place

Plusieurs outils ont été proposés par divers acteurs de manière assez dispersée. Le plus visible est le fonds Silver Lake, créé par BPI avant la crise. Sans participation majoritaire de l’Etat, et limité aux entreprises cotées, cet outil, n’est pas dimensionné pour la mise en place d’une véritable politique de souveraineté sanitaire. Plus récemment, la résurgence d’un Commissariat au Plan pourrait donner une impulsion salutaire, si l’on se garde toutefois d’un dirigisme étatique qui pourrait être préjudiciable aux industries de santé, s’il décourageait l’investissement et l’initiative privée. Enfin le plan de relance de 100 milliards d’euros, qui fait de la santé un des cinq nouveaux secteurs stratégiques, risque, sans coordination par une structure spécifique, de disperser et de brouiller la lisibilité de l’effort entre au moins cinq filières.

Malgré leur intérêt, aucune de ces initiatives ne semble à elle seule répondre à l’ensemble des enjeux, ni permettre la politique ambitieuse de retour à la souveraineté sanitaire voulue par le président de la République. Cet objectif ne nous semble pouvoir être atteint que si des outils spécifiques sont mis en place de façon coordonnée avec les acteurs publics et privés du secteur.

Création d’un Fonds stratégique de souveraineté sanitaire

A cette fin, le gouvernement devra recentrer le ministère de la Santé sur son cœur de métier, la gestion du système de santé français et notamment les hôpitaux et les EHPAD. En parallèle, nous proposons de mettre en place une nouvelle structure, un Fond Stratégique de Souveraineté Sanitaire (F3S), ayant pour mandat : la constitution de stocks stratégiques, la sécurisation de nos approvisionnements, le soutien aux champions industriels du secteur comme aux startups, tout en conservant une agilité de décision et de financement. Le tout sous le contrôle de l’Etat, dont découle le concept de souveraineté, tout en limitant la lourdeur technocratique et administrative qui pourrait obérer ses chances de succès.

Cette structure serait gérée de façon indépendante du gouvernement par un conseil d’administration composé de façon équilibrée de fonctionnaires, de personnalités issues des industries de santé, et de la finance. Le financement initial serait apporté par l’État, mais l’objectif serait de rendre cette nouvelle institution autosufisante après quelques années.

Investissement initial de plusieurs milliards

Au début, l’Etat investirait une somme de plusieurs milliards permettant

a) de constituer des stocks stratégiques initiaux

b) de payer les frais de structure

c) d’apporter un soutien d’urgence pour recapitaliser les entreprises stratégiques du secteur

d) de capitaliser un fond de soutien à la réindustrialisation. F3S pourrait aussi bénéficier d’une allocation des contributions patronales de protection sociale existantes, de manière statutaire, sur le modèle du CRDS finançant le CADES.

Dans un deuxième temps, F3S lèverait de la dette, garantie par la France, pour refinancer la contribution initiale de l’Etat. L’émission prendrait la forme d’obligation perpétuelle, avec faculté de remboursement anticipé annuel au bout d’une cinquantaine d’années, selon un modèle proche de l’emprunt de guerre britannique émis en 1915 et remboursé en mars 2015, le tout, en conformité avec les règles de l’Eurostat. F3S paierait une prime de garantie à l’Etat au prix du marché, conformément au mécanisme européen existant pour l’Italie et la Grèce pour les opérations de titrisation de prêts bancaires en défaut. Le remboursement s’effectuerait à partir des revenus tirés par F3S de ses participations.

Outre ses avantages structurels et financiers, F3S permettrait aussi de créer un grand espace de dialogue, des initiatives collégiales et des synergies fortes entre les acteurs industriels, l’Etat, et les biotech/startup, couvrant les aspects financiers, technologiques et réglementaires, en prolongement du Conseil Stratégique des Industries de Santé (CSIS) dont la 9e édition est en préparation. Cet outil a été présenté au comité souveraineté du MEDEF et à la FEFIS en juin 2020 et nous espérons que cette idée, qui permettrait la mise en place rapide d’une politique de souveraineté sanitaire ambitieuse, trouvera un écho favorable auprès du gouvernement.