Par Louis-Joseph Delanglade*
Pour la plupart de nos (dés)informateurs médiatiques professionnels, M. Trump enfin écarté, l’arrivée au pouvoir de M. Biden change la donne, du seul fait qu’il s’inscrit résolument dans la ligne de M. Obama dont il a été le vice-président et dont il vient de nommer trois collaborateurs à des postes de première importance : MM. Burns, Sullivan et Blinken seront respectivement directeur de la CIA, conseiller national à la sécurité et secrétaire d’Etat.
On attend donc une tout autre image, plus diplomatique, de la politique étrangère américaine : à l’unilatéralisme et au nationalisme à l’emporte-pièce du sortant, M. Biden substituera le multilatéralisme et une ouverture policée au reste du monde. En fait, pour faire du non-Trump, M. Biden a un seul atout : se faire le commis-voyageur d’une Amérique « démocrate », c’est-à-dire obsédée par le climat, les minorités, l’immigration, les droits de l’homme, etc., tout ce qu’incarne sa vice-présidente, Mme Haris. Pour le reste, ses marges de manœuvre traditionnelles sont plutôt étroites.
On peut d’abord écarter le retour à une politique impériale et interventionniste, tant il est douteux que les Etats-Unis veuillent, ou simplement puissent, s’épuiser à essayer de maintenir leur primauté, quel qu’en soit le prix, par exemple une épuisante opposition-compétition avec la Chine ou un diktat difficile à imposer à la coalition israélo-sunnite contre l’Iran. De toute façon, le démocrate Biden, qui est tout sauf un faucon ne serait pas vraiment l’homme de la situation. La différence avec M. Trump n’est pas si évidente car il ne faut pas oublier que ce dernier n’a engagé aucune troupe américaine à l’extérieur. Ce sera donc plutôt une question de degré, comme d’ailleurs pour le désengagement des troupes américaines des zones de combat.
Dans le premier tome de ses Mémoires (Une Terre promise), M. Obama reconnaît que, malgré tout ce qu’il pense être les meilleures intentions du monde, un président des Etats-Unis a vite fait de comprendre qu’il ne peut pas tout. M. Obama, sans être isolationniste, a ainsi cherché, sans le trouver, le moyen de désengager son pays du bourbier afghan.
C’est seulement maintenant, après donc quatre années de présidence Trump, que les GIsvont quitter l’Afghanistan. Un désengagement immédiat eût été quasi impossible à réaliser – sauf à plonger la région dans un chaos indescriptible (on pensait pourtant que c’était déjà le cas). Finalement MM. Obama et Trump ont fait à peu près la même chose, question de degré là encore, et M. Biden continuera sans doute, en gérant le maintien d’un certain personnel militaire jugé indispensable.
Reste pour nous le point majeur, l’Europe, donc la France. M. Biden se présente comme un grand europhile décidé à bâtir avec l’Union européenne une alliance et une coalition sur des bases solides. Quelles bases ? On a tout lieu de craindre qu’il ne s’agisse des immortelles valeurs « communes » à l’Union européenne et au parti démocrate américain. De plus, l’occasion est trop belle pour M. Biden de se démarquer ici franchement de M. Trump en réconfortant les adeptes européens de l’Otan. Stratégie gagnante sur tous les plans puisque l’Otan assure un primat états-unien sur des pays demandeurs et gros clients en équipements militaires sophistiqués.
Par son attitude et ses propos, M. Trump avait montré la réalité des choses, obligeant ainsi les Européens à une prise de conscience de leurs insuffisances, notamment dans le domaine de la défense. Prise de conscience salutaire qui contraignait à terme à des décisions stratégiques. Rien de plus désagréable pour certains (presque tous, en fait). L’incapacité de l’Union une fois avérée, on pouvait en effet espérer un sursaut souverainiste et – pourquoi pas ? – une coalition militaire un peu plus sérieuse que les propositions de Bruxelles.
Ça ira mieux avec Biden ? Disons qu’on n’a aucune raison d’attendre quoi que ce soit de sa présidence et qu’il se pourrait même qu’on regrette celle de M. Trump.
* Agrégé de Lettres Modernes.