Par Jean Monneret
Préliminaires
Avant d’analyser le rapport Stora et les curieuses préconisations qu’il contient, je voudrais me livrer à de brèves considérations préliminaires. Comme l’a écrit Ernest Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel ». Cette phrase ne relève pas de la métaphysique mais de la Science Politique, au sens le plus fort du terme.
Son auteur, dont l’œuvre peut certes être diversement appréciée, a ainsi magistralement défini le fait national. Cette phrase, il l’a complétée par deux autres qui la précisent : « Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Cette définition de Renan est indépassable ; elle représente un sommet en matière d’analyse politique. La France, qui pourrait s’honorer d’avoir produit un tel historien, semble avoir renoncé à s’en inspirer aujourd’hui.
Au début des années 80, nous vîmes s’opérer le recours à une immigration massive provenant, mais pas exclusivement, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Elle continue à ce jour et à un rythme soutenu. La natalité des Français autochtones étant plutôt faible, une certaine bigarrure culturelle en résulte. Ce phénomène est amplifié du fait que nombre de nouveaux venus, contrairement au passé, sont de culture musulmane.
Dès lors, « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » n’est plus une donnée factuelle immédiate. Si l’on ajoute que l’école française est en crise, que l’assimilation des immigrés n’est plus tenue pour nécessaire, que l’institution familiale elle-même évolue à grande vitesse, chacun comprendra que la nation française actuelle est de plus en plus diverse et de moins en moins unie. Comment s’étonner dans ces conditions si le désir de vivre ensemble exalté par Renan est de moins en moins évident voire, en certaines zones, inexistant.
Ce fut le travail des Présidents de la République successifs, depuis 40 ans, d’affronter cette situation délicate, voire dangereuse. Ils l’ont fait sans brio, sans imagination en multipliant généralement les mesurettes. Le problème de M.Macron, aujourd’hui, est d’être à la tête d’une société, divisée, hétérogène et même, à lire certains, atomisée.
On ne comprendra pas le rapport de Benjamin Stora et la considération d’Emmanuel Macron pour ce personnage sans se référer à ce contexte très trouble. Une phrase, glanée au hasard, me parait résumer la démarche du Président : « apaiser le passé pour restaurer l’unité nationale. »
Une telle démarche est parfois nécessaire. Rappelons-nous Henri IV et la difficile sortie des guerres de religion. Pour y parvenir, il fallut de grands hommes pour de grands maux. En ces circonstances, il faut des gens connaissant l’art des compromis et ayant le goût de rapprocher les êtres.
En revanche, il faut éviter de jeter du sel sur les plaies. C’est ce que fait le rapport Stora.
(A suivre.)