L’éditorial de François Marcilhac
Faut-il prêter plus d’importance qu’ils n’en ont aux propos de Marine Le Pen, traitant, ce dimanche sur France 3, d’« idiots » les militants d’Action Française qui ont organisé un chahut au Conseil Régional, à Toulouse, jeudi dernier, pour dénoncer l’islamo-gauchisme ? Ces propos abrupts auront eu au moins le mérite de clarifier les choses. Descartes démontrait le mouvement en marchant. Eh bien, à ceux qui s’escriment encore à qualifier l’Action française de mouvement d’extrême droite, une classification républicaine qui n’a évidemment pas de sens pour les royalistes que nous sommes, la réponse sera venue sans tarder de l’extrême droite elle-même : car c’est de l’extrême droite que les principales critiques ont surgi depuis jeudi, dans une macronisation des esprits (https://www.actionfrancaise.net/2021/03/27/la-macronisation-des-esprits) que nous avons immédiatement dénoncée. Nous pouvions croire, jusqu’à dimanche, que cette macronisation ne touchait que quelques seconds couteaux du Rassemblement national ou des proches, qui se croyaient obligés, à quelques mois des régionales, de reprendre les éléments de langage de la présidente socialiste Carole Delga, dans l’espoir secret, sinon de jeter les bases d’une alliance rose-brun, du moins de chercher sa légitimité politique de l’adversaire — une aliénation politique qui a mené Les Républicains là où ils en sont. Aujourd’hui, les choses sont plus claires, puisque c’est la présidente elle-même du parti d’extrême droite qui rejoint le chœur de ceux qui dénoncent dans ce chahut une menace quelconque pour la « démocratie ».
Marine Le Pen s’est crue plus finaude en ajoutant, parlant de l’Action française : « Je ne savais même pas qu’ils existaient encore. » Nous ne lui rappellerons pas qu’elle représentait officiellement son père, en 2007, à l’enterrement de Pierre Pujo, ni quelle accordait un entretien tout à fait cordial à notre bi-mensuel L’Action française 2000 au moment de la succession de la présidence du FN. Ou encore que sa nièce, ce qui a fait quelque bruit à l’époque, fut en 2016, l’invitée d’honneur d’un de nos colloques. Elle joue d’autant plus de malchance que tous les politistes observent au contraire un regain de notre mouvement et de ses activités, comme en témoigne le succès historique de notre camp de formation de cet été. Marine Le Pen, par ce qu’elle croyait une pique, est surtout apparue comme un chef de parti déconnecté de l’actualité politique française.
En surjouant son hostilité à notre encontre, Marine Le Pen a voulu se désolidariser totalement de nous, comme si nous cherchions son approbation, alors que nous nous en passons cordialement. Ses propos illustrent seulement cette stratégie d’évitement, qui est la sienne pour arriver au pouvoir, comme seconde étape de la dédiabolisation. Le RN doit apparaître comme un parti lisse, dont toutes les aspérités ont été méticuleusement passées à la toile émeri du politiquement correct. Certes, le parti d’extrême droite avait fort à faire pour passer d’une culture de la contestation attirant à lui des personnalités parfois douteuses, à une culture de gouvernement, mais Marine Le Pen a cru que ce devait être au détriment des fondamentaux. D’où des palinodies incessantes sur les questions économiques, européennes, sociétales, qui font que les Français seraient bien en peine aujourd’hui de citer des mesures fortes du programme du RN qui, de ce fait, reste, pour la majorité de nos compatriotes, un parti à la fois protestataire et sans colonne vertébrale. Au fond, l’attitude de Marine Le Pen s’explique non seulement parce qu’elle « croit » en 2022, mais pense, surtout, que pour « y » arriver, elle doit apparaître le plus consensuelle possible, de fait, la plus « molle »…, au risque de perdre l’électorat populaire, sans gagner sur l’électorat bourgeois qui trouvera toujours vulgaire de voter pour elle. C’est la raison pour laquelle elle refuse évidemment de s’engager sur les questions clivantes : au fur et à mesure, sur le mariage homo comme sur la PMA et la GPA, sur les retraites, comme sur les Gilets jaunes, désormais sur Schengen ou l’immigration (sur laquelle elle envisage, si elle était élue, un référendum, ce qui est bien flou), Marine Le Pen a répondu ou répond aux abonnés absents, avant, parfois, de se rallier au discours dominant. C’est la raison pour laquelle elle se croit également obligée de reprendre les éléments de langage de Macron, de LR ou des socialistes : adopter le conformisme idéologique des partis dits de gouvernement est, à ses yeux, une étape obligée pour arriver à l’Elysée.
Nul ne dit que cette stratégie ne sera pas gagnante, la démocratie étant tout sauf une science. Mais cette stratégie d’évitement ne saurait devenir une stratégie de gouvernement. La question n’est donc pas de savoir si Marine Le Pen peut gagner en 2022, mais pour quoi faire. Qu’elle sache en tout cas que l’Action française n’a jamais eu pour vocation à soutenir l’extrême droite. Ce que nous appelons le compromis nationaliste a pour seul objectif de nous décider en fonction de ce que nous jugeons être l’intérêt national. C’est ainsi qu’en 2002, Pierre Pujo avait montré clairement sa préférence pour Jean-Pierre Chevènement au premier tour de la présidentielle. En 2012, c’est assurément « sans aucune hésitation », mais « en toute lucidité », que nous appelions à voter pour Marine Le Pen, que nous ne choisîmes qu’au second tour de la présidentielle de 2017, plusieurs autres candidats que celle de l’extrême droite étant compatibles avec notre souci national au premier. Il est bien évidemment possible que, faute de mieux, nous appelions de nouveau à voter pour elle en 2022, même s’il est encore bien tôt pour le dire ! Choisir le moindre mal, c’est la seule marge que la République nous laisse à partir du moment où, comme nous l’a appris Maurras, la politique du pire est la pire des politiques. Mais de toutes autres configurations sont encore évidemment possibles, comme un second tour sans Marine Le Pen. Ce sont ses chats qui seront contents.
François Marcilhac