Par Michel Servion
Pour beaucoup, et des mieux intentionnés la francophonie est une fin en soi. Et chacun sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Pour beaucoup donc la francophonie est une sorte d’accomplissement ou viennent se résorber conflits idéologique, politique et bien entendu culturels. On verra d’ailleurs avec la formidable offensive décoloniale la faiblesse du dogme « francophoniste » comme facteur tant de pacification des conflits que de dépassement de ces conflits. S’en tenir au concept de « langue française en partage » est un ciment suffisant pour asseoir une culture mais sans doute trop friable pour étayer un projet civilisationnel.
La francophonie, comme projet d’ampleur, ce ne sont pas seulement des mots. Pas seulement un alibi. Alibi ? Vous avez dit alibi ? qu’est-ce à dire ? C’est-à-dire que souvent la francophonie est un alibi pour patriote honteux, un alibi pour celui qui craignant d’être taxé de nationaliste, d’impérialiste, de colonialiste, où pire encore, se réfugie dans un concept pacifique et culturel qui l’exorcise de tout soupçon de supremacisme national. Et d’invoquer jusqu’à plus soif une solidarité fondée sur une même langue « porteuse de valeurs humanistes », se gargarisant d’Albert Camus disant « ma patrie c’est la langue française » et n’y a-t-il pas quelque outrecuidance à vouloir faire partager la formule à des populations qui ne sont pas de langue maternelle française. Autant qu’un lien indéniable la langue française est aussi un enjeu et comme le dit bien Kateb Yacine « pour nous le français est une prise de guerre ». Invoquer la solidarité née de l’usage d’une même langue n’est pas faux mais quand même limité quand on pense aux « valeurs humanistes » du marxiste francophone Pol Pot qui mériterait bien, à lui tout seul, un Nuremberg. Pour un Français la francophilie est quand même supérieure à la francophonie (comme communauté linguistique). Et je veux croire qu’il en est de même pour tout individu enraciné dans un peuple
La francophonie est une belle chose si au-delà des mots elle engage à l’action, à la construction d’un espace francophone mondial. La Cité Internationale de la Francophonie décidée par Emmanuel Macron devrait ouvrir ses portes en 2022 au château de Villers-Cotterêts en cours de restauration pour la circonstance. L’affectation de ce château (ou fut signé par François Ier l’édit de … Villers Cotterêts) est dû à l’ambassadeur Albert Salon, président d’Avenir de la Langue Française qui dès 2011, du haut du balcon de château avait lancé l’appel visant à affecter le Château à la francophonie. Pour avoir entendu l’appel il sera beaucoup (enfin un peu !) pardonné à Emmanuel Macron. Tout laisse penser que ce projet aboutira à la différence de bien des initiatives antérieures (château de Chamarande …)
D’où l’idée de proposer des programmes susceptibles de nourrir les programmes futurs de la Cité. Un appel à projet aurait, nous dit le site de l’Élysée, d’où comme chacun sait, est gouvernée la France, suscité des milliers de réponses … Pour sa part un collectif a repris une trentaine de contributions sous la forme d’un catalogue ou se retrouvent des propositions émanant d’institutions comme la Chambre de Commerce de Paris, la Biennale de la Langue Française, le Partenariat Eurafricain, l’Observatoire du Plurilinguisme en Europe, ou encore des signatures prestigieuses comme celle de l’ancien ministre Jacques Legendre, l’africaniste Gérard Galtier, le sociologue Jean-Paul Gourévitch, auteur de nombreux ouvrages du l’Afrique, l ’économiste Yves Montenay ou Philippe Kaminski, qui développe un projet axé sur la paternité francophone de l’Economie Sociale.
A l’heure où la France s’enfonce dans une crise grave, il est temps que les porte paroles de la francosphère secouent une fois pour toute, le joug des idéologies qui, chacune pour leur part, tentent d’instrumentaliser la francophonie, qui, au profit de la lutte décoloniale, qui, au profit d’un jacobinisme érigeant la francophonie en dogme anti-langues vernaculaires (ou régionales), qui, pire encore fait de la francophonie le cache misère d’un patriotisme refoulé.