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La voie héroïque (I)

  • Post category:A la Une / Idées

Par Michel Michel

Nous proposons ici une réflexion libre de Michel Michel, sociologue bien connu à l’Action française dont il est un pilier (NDLR).

J’ai jadis écrit pour dénoncer les dangers d’une “dérive éthique” du royalisme[1]. En effet les royalistes et singulièrement les militants d’Action Française ne sont pas essentiellement fédérés par une éthique mais par la volonté de “conserver l’héritage et ramener l’héritier”. Il serait même dangereux, compte tenu de la diversité des références intellectuelles en France, qu’il n’y ait qu’une seule éthique qui soit professée.

 Mais, si le mouvement ne saurait avoir une éthique “officielle”, les militants eux doivent bien se donner une boussole pour comprendre le sens de leur vie et de leurs engagements.

Le texte qui suit ne prétend pas à s’imposer comme un élément de l’orthodoxie de l’Action Française, mais il me semble pertinent pour un militant et, en tout cas, c’est l’éthique qui m’a permis de “tenir” pendant 62 ans de militantisme, avec les hauts et les bas que le mouvement a traversé.

LA GUERRE SAINTE

« Le Seigneur est un Guerrier

son nom est Iod hé vau hé« 

1er Cantique de Moïse (Exode XV 3)

Notre intention n’est pas de justifier la révolte des Kshatriyas contre les Brahmanes, ni de mettre en cause la suprématie du spirituel sur le temporel, ni de contester l’ordre traditionnel si bien décrit par René Guenon dans « Autorité spirituelle et pouvoir temporel ».

Mais enfin, pour qu’il y ait subordination, il faut bien qu’il y ait une réalité subordonnée. En termes de” Varnas” (“couleur”) aux Indes, la hiérarchie se décline en quatre catégories de castes : Brahmanes, Kshatriyas, Vaischias et Sudras. Cette hiérarchie a sous-tendu la constitution sociale du monde indo-européen (au moins) institutionnellement jusqu’à la révolution de 1789 (Clergé, Noblesse, Tiers-Etat). D’ailleurs on retrouve ces catégories même chez les plus orthodoxes des marxistes qui distinguent le niveau idéologique (les représentations), politique (les rapports de forces) et économique dans lequel ils voudraient voir “l’infrastructure” de la société.

Certes, il y a différentes qualifications. Tout le monde n’a pas vocation à être kshatriya, guerrier ou « militant » ; il y a certainement des vocations bien supérieures… Mais Jésus pleura sur le sort de Jérusalem ; et je trouve un peu suspects, ceux qui proclament leur amour de la Jérusalem céleste en se désintéressant de leur pauvre Jérusalem terrestre. Ceux-là se croient brahmanes et ils ne vivent même pas comme des sûdras (serviteurs), mais en « hors-castes », totalement asservis à l’illusion individualiste qui caractérise notre monde. A toute époque, surtout dans les plus malheureuses, la guerre sainte, reflet de la théogonie[2] céleste, demeure nécessaire pour rétablir, autant que possible, l’ordre principiel. La guerre sainte extérieure dans le monde comme la guerre sainte intérieure en chacun.

On ne peut ignorer totalement l’un de ces niveaux sans mettre en péril l’économie générale de la création, c’est-à-dire la maintenance d’un ordre reconquis au sein même du désordre.

La pluralité des niveaux de vocation humaine étant légitime, c’est d’un de ces niveaux subordonnés dont je voudrais analyser la situation métaphysique ici.

Mes propos ne prétendent pas à l’originalité, mais l’originalité n’est pas une valeur à laquelle j’attribue une grande importance.

  1. La Chrétienté a réussi à transformer des soudards en Chevaliers.

Pourquoi cet intérêt spécifique envers ceux dont la fonction est de faire la guerre ? Certes, aucune condition n’échappe au travail de la Grâce. Le Verbe qui s’incarne à la fin des temps, au solstice d’hiver, à minuit, dans une étable souterraine, ce Verbe sait atteindre les prostituées, les publicains et les brigands.

Mais pour autant, la Chrétienté n’a pas institué des initiations de prostituées, de percepteurs ou de détrousseurs de grands chemins.

C’est que ces états ne sont pas essentiels à la condition humaine.

Pourquoi donc, à côté des initiations artisanales et monastiques ce développement des initiations chevaleresques ?

Sans doute, dans l’ordre de ce monde déchu, la guerre est-elle un fait, et même une nécessité et comme le constate René Guénon :

« A moins d’être aveuglé par certains préjugés, il est facile de comprendre (que) dans le domaine social, la guerre, en tant qu’elle est dirigée contre ceux qui troublent l’ordre et qu’elle a pour but de les y ramener, constitue une fonction légitime, qui n’est au fond qu’un des aspects de la fonction de « Justice » entendue dans son acception la plus générale. » (p.174 “Symboles de la science sacrée” 1962).

Ces considérations font écho au jugement de Saint Paul sur l’autorité politique. « Ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive; en punissant, elle est au service de Dieu pour manifester sa colère envers les malfaiteurs » (Romains 13, 4).

Mais cette nécessité de la guerre justifie-t-elle pour autant une spécificité spirituelle du guerrier ?

Constatons que la plupart des sociétés traditionnelles ont tracé une voie aux guerriers, et que dans beaucoup de cultures -celles en particulier que naguère les sciences sociales qualifiaient de primitives ou d’archaïques-, c’est la seule voie de réalisation offerte à la plus grande partie des hommes qui ne sont pas appelés à devenir chamanes.

Les femmes donnent la vie, les hommes donnent la mort, comme guerrier, ou comme prêtre, car les prêtres ne sont pas d’abord des conseillers spirituels, ou des guides-chants mais essentiellement des sacrificateurs qui égorgent tourterelles, moutons et bœufs ou encore le Christ dont ils renouvellent le sacrifice à chaque messe. (Cf. Jean Hani “La Divine liturgie”). C’est parce qu’on ne comprend plus cette fonction du prêtre ni celle de la femme qu’on saisit si mal pourquoi, dans toutes les sociétés traditionnelles, les femmes n’exercent pas la prêtrise et non pas à cause d’une prétendue mentalité archaïque misogyne, car il y a eu des femmes disciples du Christ, des prophétesses et même des prostituées sacrées ? Mais pas de prêtresses, ni parmi les “grands prêtres” du Temple, ni parmi les Apôtres ni dans les sociétés étudiées par les ethnologues.[3]

La raison de cette universalité de la voie héroïque relèverait-elles seulement des conditions historiques et sociales ? Ou bien ne découlerait elles pas aussi d’une nécessité métaphysique ? Si tant est que les unes puissent être indépendantes de l’autre.

Cette universalité, ce caractère essentiel à l’homme de la condition de guerrier justifierait que la voie chevaleresque puisse être proposée à des hommes qui, comme la plupart d’entre nous ne partagent pas la condition sociale du soldat ni même celle du militant.

Sans doute, l’ésotérisme est une voie particulière, à suivre au sein (pas à côté ni au-dessus) de l’exotérisme universel, par certains hommes qui ont une vocation spécifique ; mais également l’ésotérisme développe des virtualités particulières, mais essentielles de l’homme.

Quel est donc ce lien fondamental qui relie la condition humaine à la guerre ?

Je m’appuierai dans un premier temps sur une conception anthropologique inspirée de Georges Dumézil, outrepassant d’ailleurs ses théories qui limitaient prudemment la tripartition sociale au monde indo-européen[4].

L’homme entre en relation avec trois niveaux : il interagit avec les choses, avec les autres, et avec le sens (ou représentations).

Quand il entre en relation avec les choses, l’homme est seigneur des formes, maître de ce qui demeure du jardin de l’Eden, peut-être même participe-t-il du pouvoir créateur du Tout Puissant (? Je n’en suis pas certain). De cette vertu découlent les initiations artisanales dont le Compagnonnage est exemplaire : bâtir un temple en suivant l’ordre-même de l’Univers, c’est réitérer analogiquement l’acte de la création.

En tant que voie particulière, vocation spécifique, l’éthique chevaleresque se situe entre la voie de l’artisan – qui consiste à bien faire les bonnes ou les belles œuvres – et la voie du moine qui vise à retrouver la bienheureuse unité par la contemplation de la Vérité et l’apathéia, l’absence de passion. (Exception : le tantrisme dans l’Hindouisme et les “Exercices spirituels” d’Ignace de Loyola qui utilisent les émotions dans la voie spirituelle).

(à suivre)


[1] « Je suis royaliste, mais je me soigne. De quelques travers pathologiques du royalisme et particulièrement de la dérive éthique ». En 2006, Thierry Jolif avait publié un ouvrage collectif sous le titre « ETRE ROYALISTE » (Ed. DUALPHA collection « politiquement incorrect »).

[2] Théogonie : combats entre les dieux, les dieux et les titans, ou entre Saint Michel et le démon, etc.

[3] Sauf dans de rares cultes décadents comme le vaudou haïtien où religion et sorcellerie sont indistinctes.

[4] Les trois tentations du Christ correspondent bien à cette tripartition : s’alimenter pour l’artisan et le commerçant, se jeter du haut du Temple pour que les anges le rattrapent pour le spirituel, le pouvoir sur le monde pour le politique et le Guerrier. Et pourtant on est dans le monde sémitique et pas indo-européen…