Colloque de la Jeanne – Paris, 8 mai 2021
« Les libertés ne s’octroient pas. Elles se prennent ! »
Les actes du colloque n’ayant pas encore été publiés, nous proposons à nos lecteurs d’accéder à quelques interventions disponibles, pour donner à ceux qui n’ont pas eu la joie d’être parmi nous, ou devant leur écran le 8 mai, ou bien qui n’ont pas eu la possibilité de prendre des notes, la chance d’accéder à la « substantifique moelle » sur notre site, en commençant par la conférence de clôture de notre ami Benoit Dakin.
Par Benoît DAKIN
Avocat honoraire, ancien bâtonnier
Président de la fédération royaliste de Normandie
Chers amis,
Je vous dois un aveu : je tiens la Royale pour un chant de grande portée intellectuelle et morale.
Je me suis toujours réjoui à la faire « vibrer », selon une formule légèrement éculée.
Au-delà d’un certain pompiérisme martial, j’entends une belle leçon d’Action Française qui épouse notre propos de ce jour sur les libertés :
« Tu n’étais pas un prolétaire
Libre artisan des métiers de jadis… »
« Si tu veux ta délivrance,
Pense clair et marche droit !… »
Cette leçon d’AF, il nous appartient de la faire entendre. Hors de nos cercles, hors de nos rangs. Largement.
Avec humilité, patience et persuasion.
Avec les armes de l’étude et de la vérité.
Avec la passion du débat et le souffle de nos convictions.
Avec le courage, ce cœur à l’ouvrage des preux, pour mener le bon combat.
*
* *
La liberté n’est pas née d’hier au Royaume des lys.
Pour comprendre ce qui fait le caractère du peuple français et saisir d’un trait ce qui constitue notre être profond, il suffit de plonger dans son histoire.
Il y a sept siècles révolus le moindre de nos rois, Louis X acheva de dénouer les liens du servage.
Il était surnommé le Hutin. Ce qu’à tort certains traduisent par querelleur. Ce que d’autres interprètent plus justement comme « obstiné » ou « opiniâtre ».
Durant son règne d’à peine plus d’un an, il consentit chartes et franchises à ses peuples. A commencer par sa Charte aux Normands…
Le 3 juillet 1315, il abolit l’esclavage d’un trait : « comme selon le droit de nature chacun doit naître franc […et comme par] usages ou coutumes, moult de personnes de notre commun peuple sont enchaînées en lien de servitude, [ce] qui moult nous déplaît ; considérant que notre Royaume est dit […] des Francs et voulant que la chose en vérité fut accordée au nom, […] ordonnons que […] par tout notre Royaume [et à jamais], telles servitudes soient ramenées à franchises. ».
De cette ordonnance surgira la maxime « nul n’est esclave en France » et le principe « le sol de France affranchit l’esclave qui le touche ».
La règle sera intangible et la jurisprudence intraitable au point que trois siècles plus tard, en 1571, un tribunal de Bordeaux affranchira tous les esclaves noirs débarqués d’un navire réchappé d’une fortune de mer au motif que la France, « mère des libertés », ne tolère pas l’esclavage.
*
* *
Notre bel aujourd’hui vit sous d’autres orages et d’inquiétants présages.
Chacun s’accorde à le dire : nous vivons des temps orwelliens.
Le libéralisme, tenu d’être vertueux en temps de guerre froide, s’est montré l’atroce prédateur des économies et des peuples depuis l’effondrement du communisme.
Au point qu’il en a réalisé l’un des rêves les plus fous, l’appropriation collective des moyens de production par la gloutonnerie des fonds de pensions et des instruments financiers.
Au nom du nouvel ordre mondial et au coup de sifflet de l’étrange modèle que sont devenus les États-Unis, tout capitule devant le marché et toute culture doit abdiquer son tréfonds, toute nation doit renier son histoire pour se couler dans la complainte victimaire.
L’histoire périclite sous le couvercle de la propagande.
Le ministère public se mu en ministère de la vérité dès qu’une bande de sycophantes hurlent à la mort pour une apostrophe ou l’imputation d’un des maux qui affligent notre Patrie.
L’esprit critique est crucifié par l’étiquetage médiatique, irréfragable : « extrémistes, racistes, homophobes… » Et vous voilà condamnés au silence, soumis au pilori éternel.
Technique trotskiste. Verdict sans appel. Qui fait l’économie de toute discussion et disqualifie à jamais.
Le concert ambiant promeut une société mondialisée et une humanité façonnée sur le même établi, cancel-culture aidant.
Une humanité bientôt réduite à l’aspect d’un kilo de sucre en morceaux, tous identiques et bien alignés.
Cette vision dénervée, écorchée, dématérialisée de l’humanité réelle, nous en payons déjà le prix à petit feu.
Nous le paierons bientôt à grands embrasements car l’Histoire s’est toujours chargée de dissiper les nuées par de grands cimetières sous la lune.
Ici, à l’école de l’Action Française, nous en connaissons les vices et les causes :
- Idéaux fumeux forgés dans les loges des Lumières,
- Idéologies formidables qui ont ravagé nations, peuples et sociétés depuis plus de deux siècles,
- Aveuglement obstiné des clercs devant les périls qui montent
- Et démission des élites qui ont usurpé le pouvoir pour mieux trahir leurs mandants et leur pays.
Comme le répétait Bainville à l’envi, « vous aurez les conséquences ! ».
Bainville qui connaît un retour en grâce étonnant à la suite duquel apparaît l’ombre du grand proscrit, notre Maurras.
*
* *
La première des libertés est l’indépendance de la Patrie.
C’est la belle leçon de Jeanne que nous honorons aujourd’hui.
Or notre patrie, « la plus belle qu’on ait vu sous le ciel », git et se tord sur le lit de Procuste depuis qu’est tombée la tête de son roi.
En faisant monter aux frontons des mairies et des tribunaux sa devise trinitaire « liberté, égalité, fraternité », la République n’a cessé de piétiner les libertés concrètes, de rompre les équilibres entre puissants et faibles, d’exciter les factions et d’entretenir une guerre civile permanente.
Elle a détruit la famille et confisqué l’éducation des enfants, liberté essentielle.
Notre France est corsetée par les traités qui la ligotent à sang perlé.
Cette reddition imputable à la République est consommée par l’étau européiste.
Plus de monnaie, plus de banque centrale, plus de maîtrise des lois de police.
Une politique budgétaire inféodée aux diktats de la vacuole bruxelloise.
Une justice sous le joug de juridictions en surplomb à Strasbourg ou Bruxelles.
Notre France est laminée dans les hauts fourneaux des jurisprudences tombant des cours suprêmes.
À bas bruit et à coups d’arrêts à longue portée, celles-ci révolutionnent nos mœurs, percent nos frontières, abolissent les privilèges de la nationalité, vitrifient nos défenses, émasculent les états, nient les nations, confondent les peuples.
Les juriclastes des officines supranationales pillent et anéantissent nos libertés.
Comme le dit Hubert Védrine, le mieux inspiré de nos anciens ministres des affaires étrangères, « des Bisounours dans le monde de Jurassik Park. »[1]
L’esprit des lois a déserté les parlements et les tribunaux.
Le droit vit une crise de fond sous les coups de boutoir des influences américaine, gauchiste, féministe, écologiste et désormais racialiste.
La Révolution a tout ravagé, l’Empire tout laminé, la République tout trahi, l’Europe tout aspiré, le libéralisme tout dominé.
Leur prétexte ? À l’origine des idées chrétiennes, bientôt devenues folles comme disait Chesterton.
Les nations dans les fers, les peuples dans l’angoisse : les dommages sont considérables.
Avec la passivité frileuse des puissants du jour, la cécité volontaire des mondialistes fervents, l’extatique béatitude des europhiles impénitents et religieux.
Bref, notre drapeau est en berne portant le deuil de notre souveraineté.
Péril mortel.
*
* *
Les constats faits par mes prédécesseurs ont fait la démonstration des dangers, des dégâts, des urgences.
Il nous faut revenir à notre génie particulier.
A ce qui fait de la France une nation singulière, au destin si saisissant, à la culture incomparable.
Qui sait unir l’universel et l’original. Qui façonne l’espace et l’esprit avec élégance et légèreté. Qui mobilise les regards et fascinent les autres nations.
Il nous faut être les « Gaulois réfractaires », selon la formule heureuse d’un certain président de la République, tellement dédaigneux de son peuple.
Et à qui l’on pourrait appliquer la définition du gaullisme énoncée par Jacques Laurent : « une pratique [où] il n’y a ni doctrine, ni convictions, ni lignes de conduite. […] En tiennent lieu le culte de soi-même pour le chef, et pour les autres le culte du chef. »[2]
Sortir de ce marasme, de cette langueur d’agonie, est possible et nécessaire.
C’est remettre le cavalier en selle.
C’est chevaucher au coude-à-coude avec les héros et les saints de l’épopée française.
C’est renouer le pacte ancien avec un peuple éveillé, enfin réveillé.
C’est aussi gagner la dentelle du rempart, non conçue pour le décorer mais pour défendre la Cité.
Avec Bainville, ayons l’audace d’entrer dans l’arène. Non pour amuser le peuple, mais pour défier César : « Ce qui est dangereux et haïssable, c’est le simulacre de l’action » disait-il.
Avec Jeanne, osons prophétiser « les hommes d’armes bataillerons et Dieu donnera la victoire ! »
Avec Charette, proclamons : « sommes Messieurs, la jeunesse du monde ! »
[1] Entretien avec Natacha Polony, Directrice de Marianne
[2] « Mauriac sous de Gaulle » – éditions de la Table Ronde – 1964