Par Henri Temple (Universitaire, juriste, économiste, expert international)
Cette chronique fort opportune d’Henri Temple, que les lecteurs de l’AF connaissent bien, vient nous rappeler que l’initiative de l’opération Barkane n’était pas une erreur et qu’il serait sot de se réjouir du départ de la France de la région du Sahel. (NDLR)
Au Burkina Faso, le lundi 21 juin, une forte équipe de relève de la police nationale est tombée dans une embuscade, dans le centre nord du pays, alors que ces policiers se rendaient à Yirgou. Hier, 22 juin, le ministre de la Sécurité Ousseini Compaoré reconnaissait au moins 11 policiers tués, 4 disparus et seulement 7 indemnes. Le mécontentement gronde au Burkina car les attaques du 5 juin avaient déjà frappé ce pays dans la zone des trois frontières et les autorités semblent être totalement dépassées. Les islamistes s’en étaient alors pris à des populations civiles musulmanes, faisant, en tout, 147 morts, des dizaines de blessés et des milliers de réfugiés. Nous avions déjà regretté que les autorités burkinabè, sans doute influencées par le stupide politiquement correct européen, soient incapables de nommer le mal : l’islamisme.
Dans le communiqué officiel, elles se bornent à évoquer « une embuscade tendue par des individus armés » (sic). C’est bien peu dire, et même le terme terroriste semble être soigneusement évité. On notera qu’une telle attaque d’un convoi de policiers en trajet n’a pu être ourdi, préparé et perpétré sans informations initiales. Face à l’islamisme, la lâcheté et la faiblesse sont perçues par ses sympathisants comme une incitation à passer à l’acte. Le premier acte de fermeté serait de nommer le mal en prenant à témoin les imams et la population musulmane. Cette dernière (environ 60 %, située surtout au nord) est en plein doute. Les familles sont souvent religieusement mixtes et il y a de nombreuses conversions au christianisme. Distinguer les islamistes des musulmans serait salutaire et permettrait d’encourager les signalements de radicalisation.
Dans moins d’un an, un(e) nouveau Président(e) trouvera sur son bureau le dossier Barkhane. Espérons qu’il saura en renouveler l’approche. Lisons, dans cet esprit, la tribune accordée à La Croix (21/6/21) par S.E. Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France en Afrique sahélienne. M. Normand voit plusieurs facteurs pouvant conduire à l’instauration, au Mali et au Niger, d’États islamiques, du modèle le plus acceptable (Mauritanie) au plus intolérable (Daech). M. Normand, qui connaît bien le Mali, conclut, de façon pessimiste mais réaliste : « La poursuite et l’intensification de l’insurrection djihadiste semblent inéluctables car aucune mesure traitant les racines du mal (explosion démographique, non-développement, retrait de l’État, mauvaise gouvernance…) n’a pu être prise tandis que les forces armées nationales ne peuvent pas faire face sans un fort soutien extérieur. En cas d’affaiblissement net de l’appui extérieur, le scénario le plus probable à terme devient alors un modèle de gouvernance radicale islamique, imposé de gré (par une négociation/capitulation) ou de force (prise de pouvoir à Bamako). »
Mais il y a aussi, dans ces propos, une leçon non dite : s’il y avait un « affaiblissement net de l’appui extérieur » (lire le retrait de la France), ce sont très probablement des régimes islamiques ou islamistes qui s’installeraient pour très longtemps dans tout le Sahel. Malheureusement, l’opinion publique française, à courte vue et sans connaissance du sujet, tout à sa rancœur légitime sur le Mali, ne porte pas son regard plus loin : le méritant Burkina victime, la plupart du temps, d’intrusions de groupes islamistes étrangers. Rappelons que la Haute-Volta d’antan avait fourni sans hésiter de bons tirailleurs, fidèles, qui se sont illustrés pour défendre notre liberté, notamment à Bir Hakeim.
Aux ingrats oublieux de notre Histoire, si nombreux dans les sondages à approuver la fin annoncée de Barkhane, demandons-leur quelle serait la situation de la France et des Français avec trois ou quatre pays islamistes dans le Sahel, aussi proches de Paris que la Syrie et l’Irak ?