Par Antoine de Lacoste
S’il y a un point sur lequel Donald Trump et Joe Biden sont d’accord, c’est bien sur le fait d’abandonner leur allié afghan et de laisser le champ libre aux talibans. Ce nom exotique ne doit pas faire illusion : les talibans sont des islamistes purs et durs et une chape de plomb va probablement s’abattre à nouveau sur ce malheureux pays. Le nom d’ « ultra-conservateurs » revient trop souvent dans la presse française pour qualifier les talibans : cela relève de la désinformation pure et simple.
Le processus d’abandon, engagé sous Donald Trump, qui fit libérer de nombreux prisonniers talibans sans aucune contrepartie, s’est accéléré avec Biden, qui a fixé au 11 septembre le départ du dernier soldat américain.
La grande base de Bagram a déjà été évacuée et il n’y a plus guère que l’aéroport de Kaboul à être encore sous protection américaine. Cela devrait cesser d’ici peu. Après, l’armée afghane sera seule face aux islamistes. Ces derniers ont déjà lancé plusieurs offensives dans le nord, montrant par là leur totale détermination à reprendre le contrôle du pays qu’ils avaient perdu après le 11 septembre 2001 et l’invasion américaine organisée en représailles des attentats.
Plusieurs districts ont ainsi été facilement reconquis aux dépens de l’armée afghane qui a souvent fui sans combattre. Ce n’est pas nécessairement par lâcheté ou compromission, les choses sont plus complexes. Car l’armement dont disposent les soldats est souvent pitoyable, avec des munitions inadaptées ou insuffisantes, la stratégie militaire est sommaire et la corruption endémique. Certains se sont battus courageusement mais ordre leur a été donné d’évacuer des postes ruraux intenables pour tenter la défense des grandes villes.
Pourquoi pas. Mais tout de même, on se demande ce qu’ont organisé les Américains après vingt ans d’occupation et mille milliards de dollars dépensés. Ce chiffre, devenu symbolique aux États-Unis, exaspère les membres du Congrès dont beaucoup militent pour cesser toute aide financière à l’Afghanistan. C’est le syndrome de la guerre du Vietnam qui se renouvelle : les Américains, non contents d’avoir abandonné leur allié, ont ensuite cessé toute aide, militaire ou financière, précipitant sa défaite. Car en face, l’Union soviétique était toujours là pour ravitailler son allié. Saïgon est tombé deux ans après le départ américain, une longue nuit meurtrière a commencé pour les malheureux vietnamiens et elle n’est toujours pas achevée.
Les islamistes ont remplacé les communistes, mais l’histoire est la même. Car derrière les talibans, il y a toujours le Pakistan très actif dans son soutien aux talibans. Les États-Unis, désireux de pas se fâcher avec ce pays pour des raisons géopolitiques qui se défendent, a tout de même choisi de ne pas choisir, laissant les services secrets pakistanais organiser patiemment la reconquête du pays par le biais des talibans, sans cesse bombardés par l’aviation américaine. Au royaume de l’absurde, l’opération afghane tiendra une bonne place dans la stratégie américaine.
L’inquiétude commence à croître dans les grandes villes et des règlements de comptes se sont déjà produits. Une probable grande vague d’émigration aura lieu en cas de succès taliban, et certaines ambassades fermeront courageusement leurs portes.
Qu’est-ce qui pourrait empêcher la victoire islamiste annoncée ? Un sursaut de l’armée afghane, puisque aucune aide ne viendra de l’extérieur. Mais on l’a compris, il ne saurait être que provisoire car le temps joue en faveur des islamistes. Cela rappelle les propos d’un chef taliban tenus à un général américain et restés célèbres : « Vous avez une montre mais nous, nous avons le temps. »
Décidément, la politique extérieure américaine depuis trente ans n’est qu’un champ de ruines.