Par Charles Saint Prot
Directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques
Doyen de l’Institut africain de géopolitique (IAGEO)
La décision du régime algérien de rappeler son ambassadeur en France, le 2 octobre 2021, est — comme la rupture des relations avec le Maroc — celle d’un système à bout de souffle. Un système qui, à force de tromper le monde depuis l’indépendance en 1962, tourne en rond et ne satisfait que les intérêts particuliers des profiteurs corrompus du régime.
Mais qu’a dit le président Macron pour conduire Alger à ce rappel surprenant de son ambassadeur ? Tout simplement que lors de discussion avec des jeunes relatée par le quotidien Le Monde, Emmanuel Macron a estimé, le jeudi 30 septembre, qu’après son indépendance en 1962, l’Algérie s’est construite sur « une rente mémorielle entretenue par le système politico-militaire ». Il y évoque aussi « une histoire officielle réécrite », qui « ne s’appuie pas sur des vérités » mais sur « un discours qui repose sur une haine de la France ». Doutant que l’Algérie ait constitué une nation avant la présence française, Emmanuel Macron a également noté que les territoires d’Alger, de Constantine et d’Oran étaient occupés par les Turcs ottomans ; lesquels avaient été arrêtés par les Rois du Maroc à la frontières marocaine.
Dans un communiqué le régime algérien prétend que les propos de M. Macron porteraient atteinte à la mémoire des 5,63 millions de martyrs qui auraient été victime de la présence française ! Encore un effort et les Algériens arriveront aux 6 millions, alors que tout le monde sait qu’en 1830, il y avait à peine 2,5 millions de personnes sur le territoire (dont une trentaine de milliers dans la ville d’Alger) que la France appellera l’Algérie, et qu’il y en avait une douzaine de millions (sans compter 1 million d’Européens) lorsque la France est partie en 1962. Parler de génocide est donc une aberration ou un slogan de propagande d’un régime qui ne croit pas à ses propres mensonges — comme j’ai moi-même pu le constater au début des années 1980 chez le président Chadli Bendjedid.
Une dictature militaro-communiste
Quand M. Macron affirme que le régime algérien — celui d’une dictature militaro-communiste installée depuis 1962 et 1965- déteste la France, il dit vrai car ce système s’est construit dans le mythe du résistancialisme et l’anti-France. Il déteste tout autant la France que le Royaume du Maroc et sans doute faut-il y voir le complexe d’un Etat nouveau mis en place dans les années 1960, c’est-à-dire il y a moins de 60 ans. Cela fait une rude différence avec deux vieilles nations comme la France et le Maroc qui ont plus de mille ans d’existence !
La récente décision de Paris visant à l’indemnisations des Harkis — les Algériens qui prirent le parti de la France — a sans doute aggravé les choses les causes de ressentiment anti-français d’un régime qui en a fait son fonds de commerce.
Une attitude ambiguë contre le terrorisme
Cela a, bien entendu, des répercussions importantes sur le plan géopolitique. C’est Alger, par le biais de la sordide « Sécurité militaire » formée par le KGB[1], qui a été la matrice des mouvements (GIA)[2], Mourabitoun de Benmokthar rallié à AQMI (dont le dirigeant un membre du Polisario vient d’être tué par l’armée française), MUJAO et autres, prétendument islamistes mais réellement terroristes qui pullulent dans la zone saharo-sahélienne. Et pourtant Alger continue à nier l’évidence : la connivence indéniable entre les groupes terroristes algériens et AQMI ; c’est Alger qui inspire l’agit-prop contre son peuple, la France et l’unité marocaine avec les réseaux communistes et gauchistes rémunérés par la Sécurité militaire ; c’est Alger qui se réjouit de la mauvaise coopération d’un régime malien corrompu avec la France : c’est Alger qui applaudit lorsque le premier ministre malien insulte devant l’Assemblée générale de l’ONU l’armée française – qui est la seule à faire le travail dans son pays.
Il est clair que l’Algérie n’est pas un partenaire fiable en matière d’antiterrorisme, à la différence du Royaume du Maroc dont la loyauté et la coopération exemplaire sont louées aussi bien à Paris que dans les capitales des pays européens ou aux États-Unis. Comment ce régime qui n’a pas réussi à éradiquer le terrorisme sur son propre sol durant les deux dernières décennies pourrait-elle y parvenir dans la région ?
Un régime algérien aux abois
Surtout, ce régime aux abois est celui de toutes les ambigüités. L’avocat Hocine Zahouane, militant des droits de l’homme, membre fondateur et ancien président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (2005-2007), a pu noter que « La violence [en Algérie] est entretenue par des forces qui n’ont pas intérêt que la société s’organise pour défendre ses droits, c’est une façon d’exercer l’hégémonie par le désordre ». On a vu récemment avec les manifestations du Hirak, la crise avec le Maroc, les attaques anti-françaises, la parodie d’élections qui ont porté à la présidence un homme qui a réuni 99% des suffrages mais moins de 12 % d’électeurs, que le régime ne recule devant rien pour se maintenir au pouvoir. Cela l’entraînera-t-il dans une guerre insensée contre le Maroc ? En tout cas, cela explique la logorrhée antifrançaise de ce système dont le peuple algérien reste la première victime.
[1] Actuellement Département de renseignement et de sécurité (DRS), mais pour les Algériens terrorisés c’est toujours la SM. Sur le rôle de la Sécurité militaire, voir S.-E. Sidhoum : « La Sécurité militaire au cœur du pouvoir. Quarante ans de répression impunie en Algérie, 1962-2001 », in Algeria-watch, septembre 2001. [2] Selon Mohamed Samraoui, ancien colonel de la DRS, lors d’une interview à la chaîne arabe El Djazira, le 5 août 2001: « Les GIA [Groupes islamistes armés], c’est la création du pouvoir : ils ont tué des officiers, des médecins, des journalistes et beaucoup d’autres. […] L’intérêt des généraux est d’appliquer la politique de la terreur pour casser les revendications légitimes du peuple ». Cité par François Gèze, « Françalgérie : sang, intox et corruption ».