Par Philippe Oswald
Le « passe sanitaire » est-il vraiment sanitaire ou politique ? Sa prolongation par le Parlement jusqu’au 31 juillet 2022 a suscité la colère des oppositions qui accusent le pouvoir d’évacuer toute remise en cause de sa politique anti-Covid pendant la campagne présidentielle. Le tout au nom de la « vigilance sanitaire » (en vigueur depuis juin dernier pour la France métropolitaine) dont la prolongation, conformément aux vœux du gouvernement, a été approuvée par seulement 118 voix contre 89 et une abstention, vendredi 5 novembre. La majorité des députés n’a tenu aucun compte des quelque 500 amendements du Sénat qui avaient profondément remanié le texte, ni, pour finir, de la « question préalable » de la majorité sénatoriale qui le rejetait en entier, jeudi soir.
Le « pass sanitaire » (puisque c’est ainsi qu’il est officiellement – et peccamineusement – « orthographié ») devait cesser d’être en vigueur le 15 novembre. Rappelons qu’il consiste en une attestation de vaccination complète ou un certificat de rétablissement, ou un test Covid négatif. Il va donc continuer à s’imposer tant que le gouvernement le jugera utile. De nouvelles prédictions alarmistes de l’OMS pour le continent européen (« 500 000 décès d’ici quatre mois ») viennent à point pour maintenir la pression sur les Français pourtant vaccinés à plus de 75%.
Les adolescents n’échappent plus à cette pression : depuis le mois dernier, les 12-17 ans sont également assujettis au passe sanitaire.Théoriquement, le passe sanitaire pourrait être levé périodiquement, ici ou là, s’il ne répondait plus aux critères le justifiant dans le texte adopté : taux de vaccination, taux de positivité des tests de dépistage, taux de saturation des lits de réanimation… Mais les députés de la majorité n’ayant pas fixé de seuils chiffrés, on reste dans le flou, autant dire l’arbitraire. Le passe sanitaire n’est d’ailleurs que l’aspect le plus emblématique d’une série d’entraves à la liberté prévues par l’état de « vigilance sanitaire » (restrictions de la circulation des personnes, des manifestations, d’accès aux établissements recevant du public…) – moins alarmant que celui d’« urgence sanitaire » mais à peine moins liberticide (le réenclenchement de « l’état d’urgence sanitaire » se traduirait par un reconfinement ou un couvre-feu). Le gouvernement, par la voix d’Olivier Véran, s’est contenté de promettre qu’un débat parlementaire sur ces sujets aurait lieu autour du 15 février. Les Républicains et la gauche ont annoncé des recours auprès du Conseil constitutionnel.
Une nouveauté parmi les entorses aux droits fondamentaux maintes fois répertoriées depuis le début de cette crise sanitaire : la fin du secret médical (« une brèche » dénoncent les oppositions, mais on sait ce qu’entraîne l’ouverture d’une brèche dans une digue). Sous prétexte de « faciliter l’organisation de campagnes de dépistage et de vaccination et d’organiser des conditions d’enseignement permettant de prévenir les risques de propagation du virus », les directeurs d’école et les chefs d’établissement du second degré auront accès aux informations sur le statut virologique des élèves, leurs contacts avec des personnes contaminées et leur statut vaccinal. Interrogé sur ce point plus que délicat sur BFMTV, le ministre de l’Educationnationale a répondu que ce n’était pas là « un secret important » … Tel n’est pas l’avis des professionnels de la santé et des parents d’élèves. Les infirmières de l’Éducation nationale (Snics) ont dénoncé « le fichage du statut vaccinal des élèves » et « la politique du tout sécuritaire [qui] risque de stigmatiser les élèves et provoquer des tensions entre vaccinés et non vaccinés. » La fédération de parents d’élèves FCPE juge pour sa part qu’« il n’est pas normal qu’un tel type d’amendement, déposé par le gouvernement, vise l’ouverture des données personnelles et confidentielles des élèves ». Quant à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), elle a levé un sourcil, disant souhaiter « un texte réglementaire » pour encadrer l’amendement. Mais on peut prédire l’effet de cette timide objection : pour reprendre l’expression du président de la Fondation Jérôme Lejeune, Jean-Marie Le Méné, « on encadre les dérives, puis on dérive avec le cadre »…
Le président de la République cherchera-t-il à justifier cette prolongation de « l’état d’urgence sanitaire » assorti du « pass sanitaire » dans son allocution, mardi soir ? Rappelons qu’Emmanuel Macron avait promis aux Français, le 29 avril dernier, que le passe sanitaire « ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas ». « Il ne sera jamais un droit d’accès qui différencie les Français », avait assuré le président de la République. « Jamais »…