Par PHILIPPE LALLEMENT
Une ligne de crête instable et menacée
Une ligne de crête instable et menacée Simultanément, Favigny dénonçait la pérennisation du modèle multiculturaliste d’inclusion : « c’est le laisser-faire actuel, écrivait-il, qui conduit à l’entassement anarchique d’immigrés de dizaines de nationalités différentes dans de grandes cités sans âme. Ces véritables ghettos opaques où la puissance publique ne s’exercera plus, et que la police ne contrôlera plus qu’à » l’américaine », en les entourant de véritables cordons sanitaires au sein desquels règnera une jungle sans nom, seront plus le fruit du refus du regroupement communautaire que de son acceptation. »
Inversement, en permettant aux immigrés d’organiser leurs rapports avec l’État, le traitement communautaire permettrait l’émergence de représentants avec qui le dialogue serait possible, ce qui susciterait dans la population immigrée ce sens des responsabilités qui lui fait trop souvent cruellement défaut. Ainsi pourrait-on assurer un régime différencié selon les communautés, en fonction des problèmes spécifiques de chacune. La pratique de l’islam, notamment, « serait réglementée de manière prudente et empirique, et non sur le même pied que les autres religions, comme si les difficultés soulevées étaient du même ordre. » L’Action française renouait ainsi avec sa position classique sur la décentralisation, voir avec son fédéralisme de 1959, car « les sommes colossales que l’État investit, à la manière de Sisyphe, dans la revalorisation de quartiers ne seraient peut-être plus autant gâchées que dans l’actuelle situation d’irresponsabilité. Celle-ci a en effet trop duré. Il n’est plus possible que le rôle éducatif parental continue de s’effriter et que les pères se désintéressent d’enfants en qui ils ne se reconnaissent pas. L’État doit assigner un minimum de responsabilités collectives et être capable de rétribuer les efforts ou bons comportements de certaines communautés et, inversement, de sanctionner les défaillances des ressortissants d’autres groupes, qu’atteste, par exemple, un état de surdélinquance … »[1]
Enfin, l’intégration par le traitement communautaire éviterait une dégradation irrattrapable de la situation : « Toute une « culture du refus » est en train de se développer dans les poches de marginalité de l’immigration. Le déficit identitaire (déracinement maximal) vient ainsi se croiser avec le déficit familial et économique pour exposer les individus à n’importe quelle affirmation existentielle bricolée et durcie. Nous avons là le terreau parfait d’un possible développement du fondamentalisme islamique… Le meilleur moyen d’éviter une cristallisation identitaire souterraine (« underground »), violente, intolérante, primaire, est donc d’aménager une place (surveillée) aux structures communautaires traditionnelles et de les laisser prendre en charge une partie de la vie sociale (enseignement, secours mutuel, tissu associatif…) Cette solution, qui accepte l’idée d’enclaves étrangères sur notre sol (qu’il s’agira à terme de réduire), n’est pas idéale. Elle nous semble incarner le moindre mal et la seule voie humaine possible de résorption des fléaux véhiculés par l’immigration massive. »[2] L’enjeu de l’intégration par le traitement communautaire, dans sa logique définitive, était de permettre et favoriser la possibilité de « re-migration », dans des conditions conformes aux valeurs de la France.
En se tenant sur cette ligne de crête entre assimilation et inclusion, la génération Maurras s’exposait à se voir accusée de communautarisme. D’autant que le manifeste de Réaction[3], sa jeune et brillante revue-laboratoire d’idées, d’inspiration chrétienne, n’hésitait pas à affirmer que seule « la monarchie traditionnelle peut conduire à la renaissance d’un communautarisme harmonieux ». Formule audacieuse ! Pour prévenir toute attaque, Aspects de la France est revenu sur l’indéracinable critique maurrassienne d’un État soumis à des minorités agissantes ou à des groupes de pression organisés, forts de la faiblesse d’une société atomisée. Maurras ne prônait pas la destruction de ces « États confédérés » mais leur affaiblissement par la restauration d’un État affranchi de l’élection – et par le développement d’une multitude de groupes sociaux, de corps intermédiaires, de « républiques locales et professionnelles » redonnant aux minorités toute leur place : « Nous ne redoutons pas les États dans l’État, la vieille France qui en était pétrie ne s’en portait pas plus mal, au contraire. Quant à l’esprit de corps, nous l’avons défendu partout où nous l’avons trouvé attaqué. Nous l’avons excité partout où sa vigueur tendait à décroître. L’homme n’est pas grand-chose dans l’ordre politique ou civil, il n’y peut rien, sans l’assistance de son groupe. De la famille, de la patrie, du métier, de la ville, des syndicats fédérés et confédérés, lui vient l’essentiel de sa force de résistance.[4] »
À l’université d’été 1991 se décida la campagne de propagande de l’année suivante. Sous l’impulsion de Nicolas Portier, le slogan « Monarchie fédérative » fut préféré à « Monarchie communautaire » car le traitement communautaire intermédiaire était possible dans un cadre fédéraliste que seule la monarchie rendait possible sans risque de voir l’État se désagréger. À la rentrée d’octobre 1991, Aspects de la France titra « Immigration : les méfaits de la démocratie »[5] et Portier constata qu’une partie des immigrés était inassimilable. La nouvelle ligne de crête s’avérait délicate
Philippe Lallement,
à suivre la semaine prochaine dans : 9/11 – 2020 L’alliance islamo-gauchiste.
Pour voir les articles précédents :
1/11 – La laïcité comme nœud gordien
2/11 – Quatre générations actives, porteuse de solutions originales
3/11 – 1930 – La dernière époque coloniale
4/11 – 1960 – La décolonisation
5/11 – 1990 – l’Immigration entre communautarisme et assimilation
6/11 – L’intégration communautaire de la « Génération Maurras ».
[1] François Favigny, « La liquidation programmée des harkis » et « Les larmes, le sang, les harkis », L’Action française hebdo, 19.3.1992
[2] François Favigny, « Pour un traitement… », article cité.
[3] Le premier numéro de Réaction (Jean-Pierre Deschodt, François Huguenin, Laurent Dandrieu, E. Marsala, Philippe Mesnard) paraît précisément au printemps 1991, avec un article prémonitoire d’Éric Letty. En 1992, le dossier du n°5 porte sur « Individu et communautés ».
[4] . Charles Maurras, L’Action française, 17.2.1909.
[5] Nicolas Portier, « Le débat change de base », Aspects de la France, 26.9.1991.