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L’EDITORIAL DE FRANCOIS MARCILHAC

LA FRANCE ET LE CONFLIT UKRAINIEN (III)  :  QUID  DE L’EUROPE ?

Dans cette affaire ukrainienne, nous le voyons déjà et Macron ne le cache pas aux Français, l’activisme débridé de l’Union européenne à l’encontre de la Russie, dans ce concours Lépine des sanctions auquel nous assistons, se retournera d’abord contre ses Etats membres, laissant «  nos  » alliés américains indemnes compte tenu notamment de leur autosuffisance énergétique et de leur puissance monétaire. C’est sur le continent européen que les dissensions provoqueront, à long terme, leurs conséquences les plus catastrophiques. Macron qui craignait que l’OTAN ne fût en état de mort cérébrale, bien que les Etats-Unis eussent tout fait, depuis trente ans, pour prouver que l’Alliance demeurait indispensable même après la chute du mur de Berlin, peut être satisfait : l’ennemi est toujours le même et les Etats européens, notamment les Français en sont de plus en plus convaincus : après l’intervention de Macron de mercredi, la Russie est désormais qualifiée de « mal nécessaire avec lequel il faut composer » (50%) ou même d’« adversaire à combattre » (38%). Qu’importe qu’il appartienne à la fin aux Européens de ramasser les pots cassés : après tout, cela se passe sur leur continent.

UNE « COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE » FRACTURÉE

Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, l’autre dimanche, avec une mauvaise foi confondante, avait fait remarquer que, sur les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, seule la Russie avait voté contre la résolution condamnant son intervention en Ukraine. Il oubliait de préciser simplement que la Chine s’était abstenue et que parmi les dix membres non permanents, il en était de même … de l’Inde ! Ainsi, près de la moitié de l’humanité refusait de s’engager sur des événements au nom des valeurs véhiculées par l’empire américain et ses affidés européens. Rebelote lors de l’Assemblée générale : de nombreux pays asiatiques importants (notamment l’Irak, l’Iran, le Pakistan, ou le Vietnam, en sus toujours de la Chine et de l’Inde) ont rejoint dans l’abstention la moitié des pays africains, dont l’Afrique du Sud, tandis que le Maroc refusait de prendre part au vote…. A tout le moins, la question ukrainienne fracture davantage la « communauté internationale » que ne le laisse entendre le «  camp occidental  » : les valeurs que véhiculent l’Empire ne semble pas des raisons suffisamment convaincantes pour que, sur un simple coup de sifflet, les cinq continents se liguent activement contre la menace. A l’exception notable d’une Amérique latine, encore pré carré américain, où seuls Cuba, le Nicaragua, le Salvador et la Bolivie ont osé s’abstenir.

LA FRANCE DÉJÀ PERDANTE

Loin d’en prendre acte, non pour soutenir la Russie, ni même s’abstenir, mais pour affirmer une diplomatie non alignée, Macron, malheureusement, en rajoute sur la solidarité occidentale et européenne. Certes, on n’opère pas à chaud et il ne saurait être question en pleine crise internationale de quitter l’OTAN ou de demander une révision des traités qui nous enchaînent à l’UE. En revanche, la France se devrait de jouer un rôle modérateur, plutôt que d’en rajouter, notamment dans les déclarations ou les sanctions — c’est ce que fit de Gaulle, en 1966, à Phnom Penh, s’agissant de la politique américaine au Vietnam. La France devrait mettre en avant sa différence — militaire, historique, internationale — plutôt que chercher à se dissoudre toujours plus dans une Europe dont seul Macron peut croire qu’elle aspire à une quelconque puissance et donc à une véritable autonomie.  « Notre défense européenne doit franchir une nouvelle étape », a-t-il martelé mercredi soir dernier lors de son allocution sur la guerre en Ukraine. Ainsi, alors que l’Allemagne prépare un investissement sans précédent depuis plusieurs décennies en matière de défense nationale, Macron ne pense, de nouveau, qu’en termes d’Europe, de puissance européenne, de souveraineté européenne, de défense européenne. De chimère européenne. Nous l’avons vu avec le traité de l’Élysée signé entre la France et l’Allemagne en 1963. Mais la tendance n’a fait que s’aggraver au fur et à mesure des décennies, puisque les pays qui ont progressivement rejoint l’Union européenne, surtout depuis la chute du mur, ne l’ont fait principalement qu’à cette fin : garantir, outre un certain bien-être économique, leur sécurité sans en assumer le prix ni le coût, en se ralliant à un « projet européen », certes, mais sous tutelle américaine. C’est même prioritairement cette tutelle, plus que le rigorisme européen, que ces Etats recherchèrent, comprenant que l’Europe n’était qu’une chimère indépendamment du protectorat américain. Ces pays, qui ne voulaient qu’un nouveau tuteur, avouaient par là même l’échec de l’Union européenne à pouvoir devenir une puissance. Il est même probable qu’ils ne le souhaitent toujours pas, puisqu’il faudrait en assumer le coût.

Oui, quelle que soit l’issue du conflit en Ukraine, la France sera de toute façon perdante. La France est même déjà perdante. Elle est déjà perdante parce que l’agitation de l’Elysée ne saurait masquer le fait que le fameux camp occidental a pour capitale Washington, pour préfectures Londres, Bruxelles et Berlin et pour sous-préfectures Paris, à côté de Varsovie ou de Bucarest. Comment en serait-il autrement alors que, bien que nous soyons une puissance nucléaire théoriquement indépendante (contrairement à celle du Royaume-Uni) et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, notre zèle redouble de vassalité ?

MOURIR POUR LA DÉMOCRATIE ?

On peut évidemment habiller ce zèle des valeurs dont l’Occident aime, dans un reste d’esprit colonial, à s’approprier le combat. Cette aliénation mentale de nos élites est bien illustrée par cette tribune parue dans Le Figaro le lundi 28 février du jeune philosophe Alexis Carré, qui « considère que les citoyens des sociétés libérales et démocratiques doivent retrouver le goût de l’effort et du sacrifice pour défendre leur modèle de civilisation contre l’agresseur. » Nous ignorons, puisqu’il en a l’âge, s’il est allé, depuis, s’engager dans quelque nouvelle LVF, afin de prouver, sur ce nouveau front de l’Est, qu’il a, lui, « retrouvé le goût de l’effort et du sacrifice » et répondu présent à la question qu’il posait lui-même : « Les Occidentaux sont-ils prêts à mourir pour la démocratie ? » Mais, surtout, faut-il faire du conflit ukrainien une croisade pour la démocratie ? En matière de « croisade », on a déjà entendu le refrain : « C’est un beau mystère, une chanson de geste, qu’écrivent nos gars à la pointe de leur baïonnette, avec l’encre de leur sang sur cette immense page blanche de la neigeuse steppe russe. » Je vous laisse deviner l’auteur de ce morceau d’anthologie. Ce que nous entendons ou ce que lisons depuis quelques jours le valent bien. Mais ce serait un paradoxe, voire un contresens, à l’heure où le modèle de la démocratie libérale est de plus en plus remis en cause au sein même de l’Union européenne, laquelle recourt déjà aux sanctions économiques et financières… mais contre ses propres Etats membres récalcitrants à appliquer ses dogmes, sans pour autant que ces derniers fassent preuve d’une quelconque indulgence coupable envers Poutine. L’histoire, c’est plus compliqué que le catéchisme bien-pensant des « valeurs occidentales », même si l’Empire américain a tout intérêt à lancer l’Europe dans une croisade simpliste dont elle espère tirer les ficelles sans y participer lui-même — Biden a prévenu. Comme le soulignait Antoine de Lacoste sur Boulevard Voltaire le 28 février : la guerre d’Ukraine s’inscrit dans « une suite chronologique assez cohérente de l’affrontement géopolitique entre les États-Unis et la Russie ». Quid de l’Europe ?

(à suivre)

François Marcilhac