MF : Nikola, vous dites que la guerre actuelle entre la Russie et l’Ukraine est en réalité une guerre USA-Russie et on le comprend au regard des enjeux politiques notamment autour de l’Otan. Toutefois, on constate bien que ce sont des Ukrainiens qui ont renversé le président en 2014 et que ce sont bien des Ukrainiens qui résistent à l’envahisseur russe avec une forte conscience nationale. C’est donc bien leur guerre. Pourrait-on réellement manipuler tout un peuple pour n’en faire qu’un instrument dans les mains des intérêts américains ?
NM : Oui cette guerre est clairement une guerre americano – russe et le territoire ukrainien est le théâtre d’un affrontement civilisationnel, politique et économique qui couve depuis de nombreuses années. Depuis les théories de Mackinder et Spykman, entre autres, de la première moitié du XXe siècle, la stratégie géopolitique américaine, que je développe dans L’Amérique Empire, a identifié le centre du continent eurasiatique comme le point névralgique du monde (le « Heartland »). Celui qui contrôle ce centre contrôle « la destinée du monde » et il se trouve que ce centre est essentiellement en Russie. A la fin de la chute du mur de Berlin, les Américains ont cru qu’il leur suffirait de se baisser pour ramasser les rescapés du bloc communiste. Cela a fonctionné pour la plupart des pays européens qui sont entrés chronologiquement d’abord dans l’OTAN puis dans l’Union européenne, mais cela n’a pas marché avec la Russie qui, après avoir été tenté par le club atlantiste, s’est fait refouler et a décidé de suivre son propre chemin. Les États-Unis ne veulent pas que la Russie redevienne une puissance européenne, car si la Russie et l’Europe de l’ouest se rapprochent et que le « doux commerce » prépare le terrain à des alliances politiques, alors l’hégémonie américaine sur l’Europe de l’ouest disparaîtrait. Dans mon livre, j’explique comment les Etats-Unis ont procédé pour faire monter cette tension avec la Russie et comment ils ont tenté de transformer l’Ukraine en coin entre la Russie et le reste de l’Europe.
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