Par Michel Servion
On peut se désintéresser de la crise qui traverse le PS au motif qu’il s’agit là d’une péripétie de la vie du pays légal ; on peut même s’en réjouir à cet autre motif qu’elle préfigure la fin d’un pays légal dont il fut un pilier emblématique ; on peut enfin dauber sur les palinodies ayant accouché d’un accord avec LFI, accord mêlant idéologie, convictions vraies et cuisine électorale.
On peut voir aussi dans cette crise interne au PS la continuation d’un débat qui parcourt toute l’histoire d’un courant de pensée qui, au-delà de ses traductions politiciennes appartient certes à l’histoire de la république mais aussi à l’Histoire de France. Le socialisme presque depuis Saint Simon et Cabet, sûrement après les révolutions de 1830 et surtout 1848, se scinde en deux. L’opposition Proudhon/Marx est emblématique. D’un côté les « réformistes » de l’autre les « révolutionnaires ». Aux débats théoriques s’ajoute la question pratique de la participation au gouvernement avec l’entrée en son sein de Millerand (1899) jusqu’en 1905 qui voit la création de la SFIO. Cinq partis ou courants de réunissent autour de deux pôles majeurs : Guesde/Vaillant d’un côté, Jaurès/Brousse de l’autre. Et ça tiendra jusqu’au congrès de Tours (1920) avec notons-le une adhésion tacite ou active à l’Union Sacrée. On pourrait croire que dès cette époque la SFIO endosse la casaque du réformisme pour abandonner le créneau révolutionnaire au Parti communiste tout neuf. C’est en partie vrai mais la SFIO va continuer d’entretenir une « aile gauche » qui connaitra d’ailleurs des dérives collaborationnistes avec le RNP ou le pacifisme agressif de Gaston Bergery. L’après-guerre de 40 verra le triomphe du réformisme dans une SFIO vent debout contre le communisme ; Guy Mollet disant « les communistes ne sont pas de gauche, ils sont de l’Est ».
Il faudra attendre François Mitterrand pour voir, autour de Chevènement, se constituer une « aile gauche » donnant au tout nouveau Parti socialiste le visage pluraliste qu’il avait en 1905 mais il faudra les « frondeurs » bourreaux de François Hollande pour redécouvrir une véritable aile gauche du PS.
On a assisté à Ivry-sur-Seine, lors du tout récent Conseil National du PS au match retour du congrès de 1920 perdu par les « réformistes » , A Tours ce sont les « révolutionnaires , ceux qui acceptèrent les 21 conditions de Moscou, qui l’emportent pour fonder le futur PCF , mais de l’avis général et une analyse doctrinale le confirme ce sont les minoritaires (Longuet, Blum) qui emportèrent la légitimité socialiste à la semelle de leurs souliers pour « garder la vieille maison » (Blum). A Tours le socialisme a laissé des plumes mais a sauvé son être.
A l’inverse en 2022 c’est bien Olivier Faure, majoritaire dans le parti, représentant « la gauche du parti » qui invoque explicitement, dans un discours presque émouvant, la garde de la « vieille maison » et la « légitimité ». En 2022 comme 1920 les partisans de la rupture sont majoritaires. Poussons le parallélisme : en 2022, ils se soumettent à Mélenchon, comme en 1920 ils se soumirent à Zinoviev mais la grande différence est qu’en 1920 les majoritaires partisans de Moscou n’ont pu emporter avec eux la légitimité jaurésienne alors qu’en 2022 ils peuvent y prétendre. Pour la première fois depuis le congrès de Tours les socialistes sont passés sous les fourches caudines d’une extrême gauche qui comble d’ironie inclut les communistes. Quelle belle revanche pour Fabien Roussel qui réussit partiellement, par procuration il est vrai, ce que Cachin, Souvarine et Frossard n’avaient pu réussir : digérer les socialistes ! A moins bien entendu que les minoritaires du Conseil National du PS ne s’organisent pour disputer à Olivier Faure une fragile légitimité.
Nous assistons avec cette crise du PS à la destruction d’un mur porteur de la vie politique républicaine. Et quand un mur porteur s’écroule, c’est tout l’édifice qui menace ruine ; c’est toute une reconfiguration idéologique du système qui se dessine ; ce sont donc des opportunités nouvelles qui se présentent. Nous pourrons y revenir.