Par Pierre Van Ommeslaeghe
Ce 8 septembre 2022, la reine Élisabeth vient de mourir. Un an et demi après la disparition de son mari, le prince Philip. Parlera-t-on, un jour, du « siècle d’Élisabeth II » comme Voltaire a parlé du siècle de Louis XIV ? Certes, les deux souverains n’ont pas grand-chose en commun, si ce n’est une longévité exceptionnelle. Pourtant, la reine du Royaume-Uni qui vient de disparaître n’a pas seulement traversé son temps, elle l’a aussi marqué bien que d’une façon plus discrète que le Roi-Soleil.
Née le 21 avril 1926, la Seconde Guerre mondiale la fit sortir prématurément de l’enfance. À sa mesure, elle participa au soutien du moral du peuple anglais durement touché par les bombardements, que ce soit, dès 1940, par une allocution à la radio ou en s’engageant dans l’Auxiliary Territorial Service, en février 1945.
Le 6 février 1952, la mort de son père, George VI, fait d’elle la nouvelle souveraine du Royaume-Uni. Son couronnement, le 2 juin 1953, fut le premier événement retransmis par l’Eurovision.
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord n’est pas le seul pays dont elle était le chef d’État, puisqu’elle régnait sur les royaumes du Commonwealth comme le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Elle sera, d’ailleurs, le premier souverain de ces pays à les visiter. Elle était aussi le chef du Commonwealth of Nations, issu de la décolonisation de l’Empire britannique, ainsi que chef de l’Église d’Angleterre. Son règne est le plus long de l’Histoire, tous pays confondus.
Il est de bon ton, en France, de se moquer de la royauté anglaise, de n’y voir qu’une monarchie d’apparat. C’est oublier qu’à plusieurs reprises, Élisabeth a eu à gérer des crises politiques, en 1957 et 1963, par exemple. C’est oublier que le Premier ministre anglais ne pouvant convoiter la place de chef de l’État et la reine ne gouvernant pas, chacun des deux peut se consacrer au bien du pays. C’est oublier qu’ils s’entretiennent chaque semaine en privé, avec l’assurance que jamais la reine ne révélera ce qui se dira entre eux. C’est oublier, surtout, que la reine était, et son successeur sera, l’incarnation du Royaume-Uni. Ancrée dans la passé en tant qu’héritière de ses prédécesseurs, tournée vers l’avenir en tant que mère et grand-mère.
Au cours de son long règne, Élisabeth a connu des joies et traversé des tempêtes. Elle ne s’est que rarement départie de son flegme habituel. Non qu’elle fût insensible mais parce qu’elle restait fidèle à la promesse qu’elle fit en 1947, alors jeune héritière présomptive : « Je déclare devant vous tous que je consacrerai toute ma vie, qu’elle doive être longue ou brève, à votre service et au service de la grande famille impériale dont nous faisons tous partie. » Car contrairement à ce que beaucoup croient, y compris, hélas, dans les familles royales, être prince est un devoir qui donne plus de devoirs qu’il n’accorde de droits. Ce qui a pu passer pour de l’indifférence à certains moments, comme lors de la mort de la princesse Diana, n’était en fait que cette conscience que son personnage public dépassait de beaucoup sa personne privée. Il n’est pas certain que notre époque, portée à l’émotivité, exacerbant l’individu et ses droits au détriment, s’il le faut, des devoirs envers la communauté, puisse encore comprendre une telle éthique.
Élisabeth va encore rendre un dernier service à son pays : ses obsèques vont donner à ses sujets l’occasion de se rassembler derrière son cercueil, de sentir leur unité en tant que peuple au-delà de leurs différences. Comme cela s’était passé lors des funérailles de sa mère en 2002. Les Français assisteront à ces cérémonies et au sacre de son successeur, peut-être un peu jaloux en pensant aux déchirements que provoquent chez nous le changement de Président tous les cinq ans.