Nicole Maurras nous a quittés ce 10 novembre 2022, elle était la dernière personne a porter le nom du grand penseur de l’Action Française
Le Bien commun a rencontré Nicole Maurras, qui malgré son grand âge – 97 ans – a bien voulu se confier une toute dernière fois sur « l’homme » Maurras.
Nous publions ici l’entretien paru dans le dernier numéro du Bien commun.
Pouvez-vous nous rappeler brièvement quels sont vos liens familiaux avec Charles Maurras ?
Mon mari était le fils du frère de Maurras (Joseph), qui est mort quand il avait 8 ans. La mère de Maurras, qui était en Indochine, a télégraphié à son fils Charles que son frère Joseph était mort ; et Charles a répondu par retour de courrier : « Jacques sera mon fils ». Tout de suite, Jacques a été adopté par Maurras, par le cœur et par l’esprit. Jacques a raconté sa première rencontre avec son oncle. Il avait très peur au début, mais très vite Maurras a su se montrer tellement affectueux qu’il s’est senti adopté. Jacques avait trois demi-sœurs : Hélène, Jeanne et Berthe. Maurras a adopté deux d’entre-elles avec Jacques. Il n’a pas adopté Berthe parce qu’elle avait épousé un trésorier payeur général, et un trésorier payeur général, c’était grassement payé. Il aimait sa nièce mais elle n’avait pas besoin d’être adoptée, donc il a adopté ceux qui n’avait pas les moyens de vivre, parce qu’ils étaient maintenant sans père.
Quels étaient les souvenirs que Jacques avait gardés de son père adoptif ?
Et bien le souvenir principal c’est que chaque fois qu’il venait déjeuner, il fallait réciter à Maurras une fable de La Fontaine et un article du catéchisme. Il disait « quand tu sauras ton catéchisme et les fables de La Fontaine, tu pourras aborder la vie ! » C’est bien vu ! Charles Maurras a confié l’éducation de Jacques à un prêtre, de la même manière qu’il avait eu l’abbé Penon comme quasi-précepteur. Mais il y avait une raison, c’est que Maurras était sourd et devait travailler en leçons particulières si l’on peut dire. Jacques en a souffert car il était tout seul et il aurait aimé avoir des camarades. Quand Jacques fut sur le point de passer son bac, Maurras lui avait dit « si tu réussis, je t’offrirais tout ce que tu me demanderas ». Jacques réussit le bac et Maurras lui demanda ce qu’il voulait. Jacques lui répondit : « aller au lycée » ! il voulait avoir des camarades. C’est ainsi qu’il est allé à Janson de Sailly.
Vous avez travaillé toute votre vie à ce que l’œuvre de Maurras soit davantage connue, que retenez-vous de l’œuvre de Maurras, et en particulier de sa correspondance sur laquelle vous avez beaucoup travaillé ?
J’ai beaucoup travaillé sur les lettres oui, et quelques fois c’est très drôle, parce qu’il avait de l’humour ! ce qu’on ne voit pas quand on voit le monsieur barbichu avec un col à tarte. Oui, je me suis plus intéressé à l’homme, mais qui était un écrivain en même temps.
Bien souvent on connait le politique mais pas l’homme…
Et moi je connais mieux l’homme que le politique !
C’est d’ailleurs vous qui avez révélé la vie sentimentale, la vie intime de Maurras (dans les cahiers de l’Herne notamment), et notamment l’existence de deux filles ? comment l’avez-vous appris ?
Par sa correspondance. Je l’ai découvert par déduction : quand une femme annonce à son amant qu’elle est enceinte et pas à son mari, on peut raisonnablement penser que l’enfant est celui de l’amant… Je suis allé voir les familles, elles étaient ravies ! ça ne les a pas du tout choqués, et je corresponds encore avec l’un des descendants. Une autre anecdote : j’ai par exemple réuni un lot de papiers sur le voyage d’Athènes. Maurras avait tout gardé : les notes de restaurant, les tickets du stade, j’ai pu reconstituer le séjour d’un mois qu’il a passé en Grèce, les femmes qu’il a rencontrées… il y en a même une dont il dit (c’est écrit en caractères grecs et pas en français) « elle n’a pas oté sa petite croix d’or ». Mais on ne peut pas le découvrir si on ne lit pas le grec !
Pouvez-vous nous dire quelques mots du film sur Maurras auquel vous avez contribué et qui sort ces jours-ci ?
C’est un film qui retrace la vie de Maurras sous tous ses aspects : la petite enfance, l’adolescence, la maturité, la vie active et la mort. C’est le Maurras que j’ai connu que j’ai voulu montrer. Ce qui me touche par exemple, c’est sa fierté. Il était « Maurras », et on avait attenté au personnage. Il disait : « j’ai moi ma vie, mes œuvres, qui vous flétriront ». Nous l’avions déjà réalisé sous forme de « diaporama » en 1968, pour le centenaire de la naissance de Maurras, avec Michel Bouquet qui fait la voix de Maurras. Ce n’est pas du tout la voix de Maurras d’ailleurs, parce que ce n’était pas beau la voix de Maurras, enfin, il fallait s’habituer… Michel Bouquet était un ami de Jean-François Chiappe, qui lui avait proposé de participer à ce film. Avant, nous avions eu Pierre Fresnay, puis Michel Bouquet, et enfin Jean Piat.
Vous avez fait le choix de sauver l’héritage en transmettant la plupart des écrits en votre possession aux archives nationales. Vous avez également pu donner l’épée d’académicien de Maurras à Hélène Carrère d’Encausse…
Oui, et elle m’a dit que cette épée serait dans son bureau. Elle disait aussi que cette épée et les papiers que je donnais à l’Académie était comme une réparation de l’injustice faite à Maurras.
Il y a encore des poèmes que vous connaissez et qui n’ont pas été publiés ? Sur la Provence peut-être ?
Pas sur la Provence, surtout sur les femmes ! et aussi des lettres qui n’ont pas été publiées. Encore une fois, il y a toujours de l’humour dans ce qu’il écrit. J’avais confié des lettres à Michel Déon en lui disant qu’il passerait un bon moment, mais il me les a fait rapporter le lendemain et m’a fait savoir qu’il avait trop de respect pour Maurras pour lire ça. Il n’a pas voulu les lire. Pour certaines personnes Maurras est un « saint », un monsieur austère, un grand penseur, mais ils ne voient pas que c’était aussi un bon vivant.
Que retenez-vous de l’homme Maurras ? Un homme exigeant avec votre mari, un homme bienveillant aussi ?
Un homme bienveillant et bien élevé. Et reconnaissant ses torts quand il en avait. J’ai une lettre d’excuses où Maurras écrit à son interlocuteur qu’on l’a trompé et qu’il a cru ce qu’on lui avait dit, et il s’en excuse par cette lettre. C’était aussi un homme très courtois. Il avait une courtoisie innée, vis-à-vis de tout le monde. Trois semaines avant sa mort voyez-vous, il avait des difficultés à marcher, il a malgré tout tenu à venir jusqu’à moi pour me faire le baise main.
Pouvez-vous dire deux mots de la Bastide du chemin de Paradis ?
Elle date de 1650, ce n’est pas rien ! Maurras ne voulait pas qu’elle revienne à la famille. Il voulait que la Bastide soit un lieu ouvert, aux jeunes notamment à qui il a dédié cette maison. C’est ce que nous avons fait, nous avons pris des gardiens qui accueillaient les gens qui passaient visiter. Jusqu’au legs à la municipalité, qui était communiste ! mais des communistes gentils – ça existe. Malheureusement le maire est mort et a été remplacé par quelqu’un de beaucoup plus dur. La municipalité n’a rien fait ces dernières années à part un entretien sommaire du jardin.
Il y a autre chose de méconnu. On a découvert dans le grenier des « graffitis » sur tous les murs, qui sont en fait une sorte d’histoire de la marine. Un arrière-grand-père de Maurras était officier de marine et avait peint ou fait peindre sur les murs les bateaux, les canons, à l’encre sanguine. La mairie n’en a jamais parlé si bien que les Martégaux ne savent même pas qu’ils ont ce « trésor » dans leur ville. Ces « graffitis » datent du 18e siècle et apparemment ils seraient dignes des musées nationaux !
Propos recueillis par Aliénor Charbonnier, Hugo Heurtevin et François Belker