Par Ilyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone)
Après avoir réussi l’exploit de dépasser le Ghana et le Nigeria, aux richesses naturelles considérablement supérieures, la Côte d’Ivoire creuse l’écart et confirme son statut de pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest continentale, en termes de PIB par habitant. La performance de la Côte d’Ivoire est le résultat de nombreuses réformes et d’une politique active de diversification, qui lui ont également permis de dépasser l’Angola, géant du pétrole et des diamants, ou encore le Kenya, pays le plus prospère d’Afrique de l’Est continentale (hors Djibouti).
Selon les données récemment publiées par la Banque mondiale, la Côte d’Ivoire affichait un PIB par habitant de 2 579 dollars début 2022, devançant ainsi le Ghana et le Nigeria dont la richesse par habitant s’établissait à 2 445 dollars et 2 085 dollars, respectivement. En creusant l’écart par rapport à l’année précédente, au terme de laquelle son PIB par habitant était de 2 326 dollars (contre 2 254 dollars et 2 097 dollars, respectivement), la Côte d’Ivoire consolide ainsi sa position de pays le plus riche d’Afrique de l’Ouest (hors Cap-Vert, très petit pays insulaire de seulement 0,5 million d’habitants, et ne pouvant donc être pris en compte pour l’établissement de comparaisons pertinentes en matière de richesse et de développement économique et social). Par ailleurs, la Côte d’ivoire devance désormais assez largement des pays comme l’Angola (2 138 dollars) ou le Kenya (2 007 dollars).
Une grande performance due à un dynamisme record
Cette évolution constitue une grande performance pour la Côte d’Ivoire, dont les richesses naturelles non renouvelables sont très modestes en comparaison avec celles du Ghana et du Nigeria. En effet, le Ghana est le premier producteur africain d’or et le cinquième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, avec une production respectivement trois fois et six fois supérieure à celle de la Côte d’Ivoire (qui extrait environ 40 tonnes d’or et 30 mille barils de pétrole par jour). De son côté, le Nigeria était encore le premier producteur de pétrole du continent en 2021, avec un niveau de production environ 50 fois supérieur à celui de la Côte d’Ivoire, qui a également été très largement dépassée en la matière par l’Angola, deuxième producteur africain avec une production environ 40 fois supérieure (et qui est aussi le deuxième producteur de diamants, après le Botswana, et le quatrième au niveau mondial). Observant une baisse progressive de sa production pétrolière, et faute d’une diversification de son économie et de ses exportations, qui reposent encore à environ 90 % sur les hydrocarbures, le Nigeria devrait également être assez bientôt dépassé par le Sénégal, deuxième pays francophone le plus riche d’Afrique de l’Ouest, avec un PIB par habitant en hausse constante et s’établissant à 1 606 dollars début 2022.
L’importante progression de la Côte d’Ivoire résulte de la très forte croissance que connaît le pays depuis plusieurs années. Sur la période de dix années allant de 2012 à 2021, période suffisamment longue pour pouvoir établir des comparaisons internationales, la Côte d’Ivoire a réalisé la plus forte croissance au monde dans la catégorie des pays ayant un PIB par habitant supérieur ou égal à 1 000 dollars, avec une croissance annuelle de 7,1 % en moyenne. Plus impressionnant encore, elle se classe deuxième toutes catégories confondues, pays très pauvres inclus, faisant ainsi mieux que 30 des 31 pays au monde qui avaient un PIB par habitant inférieur à 1 000 dollars début 2012. La Côte d’Ivoire n’est alors dépassée que par l’Éthiopie, qui a connu une croissance annuelle de 8,6 % en moyenne. Une performance qui résulte essentiellement du très faible niveau de développement de ce pays d’Afrique de l’Est, qui était le deuxième pays le plus pauvre au monde début 2012, et qui en demeure un des plus pauvres avec un PIB par habitant de seulement 944 dollars début 2022 (soit un an après le déclenchement d’une guerre civile, ayant fait jusqu’à présent quelques dizaines de milliers de victimes).
De leur côté, et sur cette même période de dix années, le Nigeria a enregistré une croissance de seulement 2,5 % en moyenne annuelle, tandis que le Ghana a affiché une progression annuelle de 5,1 %. De même, il est à noter que la croissance ivoirienne a également été largement supérieure à celle de pays comme l’Angola (0,9 %), le Kenya (4,4 %) ou encore l’Afrique du Sud, géant minier du continent (premier producteur africain de charbon, de fer, de manganèse ou encore de nickel, deuxième producteur d’or…), et dont la hausse annuelle moyenne du PIB s’est établie à seulement 0,9 % sur la période.
Par ailleurs, il est à signaler que la Côte d’Ivoire est récemment devenue le premier pays africain de l’histoire (et le seul encore aujourd’hui) disposant d’une production globalement assez modeste en matières premières non renouvelables, à dépasser en richesse un pays d’Amérique hispanique, à savoir le Nicaragua dont le PIB par habitant atteignait 2 091 dollars début 2022 (hors très petits pays africains de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires). La Côte d’Ivoire devrait d’ailleurs prochainement devancer le Honduras, dont le PIB par habitant se situait à 2 831 dollars.
Dans un autre registre, il est à noter que les performances économiques de la Côte d’Ivoire se sont accompagnées d’une maîtrise de l’endettement, avec un niveau de dette publique s’établissant à seulement 52,1 % du PIB début 2022, selon le FMI, contre non moins de 82,1 % pour le Ghana voisin. S’il demeure supérieur à celui du Nigeria (36,6 %), le niveau d’endettement de la Côte d’Ivoire reste largement inférieur à celui de pays comme l’Angola (86,4 %), le Kenya (67,8 %) ou encore l’Afrique du Sud (69,0 %).
Enfin, la forte croissance de l’économie ivoirienne s’est également accompagnée d’un bon contrôle de l’inflation, qui s’est située à seulement 1,3 % en moyenne annuelle sur la décennie 2012-2021, contre non moins de 12,0 % et 12,3 % pour le Ghana et le Nigeria, respectivement, ou encore 17,8 % pour l’Angola. Les difficultés économiques de ces trois derniers pays, dont les populations les plus fragiles ont été grandement pénalisées par la forte hausse du prix des produits de base, se sont notamment traduites par une importante dépréciation de la monnaie nationale, avec une perte de valeur s’établissant, respectivement, à 80 %, 63 % et 77 % face au dollar depuis le début de l’année 2014 (soit une dépréciation de plus de 99 % pour la monnaie nigériane depuis sa création). Une situation qui a notamment pour conséquence une forte dollarisation de l’économie de ces deux pays, c’est-à-dire une large utilisation du dollar pour les transactions économiques au détriment de la monnaie nationale, considérée comme risquée.
Une politique active de réformes et de diversification
Les résultats de la Côte d’Ivoire s’expliquent par les profondes réformes administratives, juridiques et fiscales réalisées afin d’améliorer le climat des affaires et d’attirer les investisseurs, ainsi que par une politique active de diversification des sources de revenus. Grâce aux réformes accomplies, la Côte d’Ivoire a réussi à instaurer un cadre propice à l’entreprenariat local et aux investissements étrangers. Le pays avait ainsi fait un bond considérable dans le classement international relatif au climat des affaires, qui était publié chaque année par la Banque mondiale, en passant de la 167e place en 2012 à la 110e place en 2020 (année du dernier rapport, avant suspension). Même si elle demeurait, à ce moment-là, encore moins bien classée que des pays comme le Maroc (53e) ou l’Afrique du Sud (84e), la Côte d’Ivoire faisait toutefois déjà largement mieux que le Nigeria (131e), l’Angola (177e) ou encore l’Éthiopie (classée 159e, avant le début de la guerre civile). Au passage, il convient de rappeler que la maîtrise de l’inflation, élément ayant une incidence certaine sur l’environnement des affaires, n’était hélas pas prise en compte dans l’élaboration du classement annuel de la Banque mondiale, ce qui pénalisait la Côte d’Ivoire où l’inflation est bien plus faible que dans les pays précédemment cités (et qui méritait donc d’être encore mieux classée).
Ces réformes se sont accompagnées de la réalisation de grands travaux à travers le pays (routes, ponts, réseaux de télécommunications, logements sociaux, transports publics – comme le futur métro d’Abidjan…), ainsi que d’une politique active de diversification des sources de revenus, en s’appuyant sur le développement du secteur agricole, des industries de transformation et des capacités de production d’électricité, et en lançant de nouvelles filières industrielles. Déjà premier producteur mondial de cacao depuis longtemps, la Côte d’Ivoire s’est ainsi également hissée au cours de la dernière décennie au premier rang mondial pour la production de noix de cajou, et au premier rang africain (et quatrième mondial) pour le caoutchouc naturel, dont elle assure désormais près de 80 % de la production continentale, suite à un quintuplement de la production nationale. Le pays est également le second producteur africain d’huile de palme (derrière le Nigeria), et est récemment devenu le troisième producteur continental de coton (après le Mali et le Bénin). Par ailleurs, le pays dispose d’un secteur halieutique assez important, étant notamment le premier producteur africain de thon.
Parallèlement à la hausse de la production agricole, le pays a également porté une attention particulière à la transformation locale de la production, source d’une valeur ajoutée bien plus importante pour le pays, dont elle contribue également à l’industrialisation. Ainsi, et grâce à la multiplication récente des usines de transformation, encouragées par un cadre propice à l’investissement, la Côte d’Ivoire transforme aujourd’hui (tous stades de transformation confondus) les trois quarts de sa production de caoutchouc naturel, les deux tiers de sa production de thon, près de 35 % de sa production de cacao et environ 12 % de sa récolte de noix de cajou. Mais le pays a pour objectif d’augmenter encore davantage ces niveaux de transformation locale, et notamment dans les filières cacao et noix de cajou, pour lesquelles il espère atteindre un niveau de 50 % d’ici 2025 (et de 100 % pour le cacao d’ici 2030). Dans ce cadre, et parmi les nombreuses installations récentes ou en cours, la plus moderne des usines de transformation de noix de cajou au monde est entrée en production en juin 2021, avec un taux d’automatisation de plus de 90 %. Cette installation industrielle devrait même devenir la plus grande des usines de transformation de noix de cajou au monde, après la construction d’une unité de valorisation des coques pour la production d’électricité.
La production d’électricité est d’ailleurs un des domaines dans lesquels le pays a fortement investi au cours de la dernière décennie, avec pour résultat une hausse de deux tiers de la production nationale (assortie d’une part grandissante pour les énergies renouvelables : solaire, biomasse, hydroélectricité…). Disposant désormais du troisième plus grand système de production électrique en Afrique, selon la Banque mondiale, le pays est même devenu un des principaux exportateurs en la matière à l’échelle continentale, acheminant environ 11 % de sa production vers huit pays d’Afrique de l’Ouest. Au niveau national, le taux de couverture est passé de 33 % des localités ivoiriennes début 2012 à 82 % en mars 2022, couvrant ainsi 92 % de la population (même si une partie minoritaire des habitants de ces localités ne bénéficie pas encore de l’électricité à domicile).
L’électrification du pays constitue en effet un élément de grande importance pour la réussite de toute politique de développement économique et social. Outre les activités précédemment citées, elle est aussi cruciale pour le développement du secteur des nouvelles technologies, pour le lancement de nouvelles filières industrielles, ou encore pour la mise en place d’un réseau scolaire étendu et performant à travers le pays. À titre d’exemple, la Côte d’Ivoire a commencé à assembler ses premiers ordinateurs et téléphones portables intelligents en juin 2021 (un des rares pays africains à ce jour), avant de lancer en mai 2022 un nouveau téléphone révolutionnaire de conception locale, utilisable notamment par les personnes analphabètes grâce à une commande vocale (et, de surcroît, disponible en 15 langues africaines et 4 langues internationales !). Dans le même temps, une filière automobile commence aussi à se développer, avec l’installation d’une usine d’assemblage de minibus, de camions et d’ambulances de la marque Iveco, et dont les premiers véhicules ont été présentés en janvier 2022. Quant à l’éducation, les cinq dernières années ont vu l’ouverture d’autant de classes à travers le pays qu’au cours des vingt années précédentes. Une accélération qui s’explique, notamment, par la scolarisation rendue obligatoire à partir de la rentrée 2015 pour les enfants âgés de 6 à 16 ans.
Grâce à la diversification des sources de revenus, les activités directement liées aux industries extractives (hydrocarbures et industries minières), et malgré l’augmentation de leur production au cours des dernières années, ne représentent aujourd’hui qu’environ 30 % des exportations de biens du pays, dont l’économie est ainsi plus robuste et résiliente face aux crises internationales que celles du Ghana, du Nigeria, ou encore de l’Angola et de l’Afrique du Sud. En effet, ces activités pèsent pour environ 70 % des exportations ghanéennes de biens, 90 % de celles du Nigeria, 98 % de celles de l’Angola et 60 % de celles de l’Afrique du Sud. En d’autres termes, les activités non directement liées aux industries extractives représentent environ 70 % des exportations ivoiriennes de marchandises, alors qu’elles ne sont à l’origine que d’environ 30 % des exportations du Ghana, 10 % de celles du Nigeria, 2 % de celles de l’Angola et d’environ 40 % des exportations sud-africaines. Grâce à sa plus grande solidité, l’économie ivoirienne a ainsi enregistré une croissance économique de 6,3 % en moyenne sur la période de sept années 2015-2021, marquée par la baisse parfois considérable du cours des hydrocarbures, tandis que le Ghana, le Nigeria, l’Angola et l’Afrique du Sud ont affiché respectivement des taux de 4,6 %, 1,1 %, -1,2 % et 0,4 %.
Par ailleurs, il est à noter que la diversification de l’économie ivoirienne s’est également accompagnée d’une diversification des partenaires économiques du pays, dont la Chine est désormais le premier partenaire commercial avec une part de 8,9 % du commerce extérieur de biens en 2020. La France n’arrive qu’en troisième position (7,7 %), devancée par le Nigeria (8,7 %), mais avec lequel les échanges reposent essentiellement sur l’achat d’hydrocarbures. La présence chinoise se manifeste surtout au niveau des importations du pays, dont elle a fourni 15,0 % des besoins cette même année, devant le Nigeria (13,1 %) et la France (10,8 %). La Chine demeure toutefois un très modeste client de la Côte d’Ivoire, dont elle n’a absorbé que 3,7 % des exportations en 2020, se classant ainsi à la 12e position, loin derrière les Pays-Bas qui occupent la première place, devant les États-Unis et la Suisse (la France étant huitième, avec 5,1 %).
Enfin, la diversification de l’économie ivoirienne devrait également se renforcer avec le développement attendu du secteur touristique, encore embryonnaire. En effet, et contrairement aux pays francophones que sont le Maroc et la Tunisie, deux des destinations phares du tourisme sur le continent, la Côte d’Ivoire et plus globalement l’Afrique francophone subsaharienne ont largement et longuement délaissé ce secteur à fort potentiel, faisant ainsi presque ignorer au reste du monde l’existence d’une faune, d’une flore et de paysages exceptionnels et comparables à ce qui peut être observé dans certains pays anglophones du continent. Une situation fort regrettable pour un pays qui ne manque pourtant pas d’atouts en la matière, notamment grâce à ses plages, ses parcs nationaux ou encore sa basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro (plus grand édifice chrétien au monde, quasi-réplique de la basilique Saint-Pierre de Rome, et dont l’existence même est ignorée par la quasi-totalité des chrétiens des pays du Nord, y compris en France…). Occasion de rappeler, au passage, que la Côte d’Ivoire est un pays bien plus grand que ne l’indique la majorité des cartes géographiques en circulation (y compris en Afrique), étant légèrement plus étendue que l’Italie et un tiers plus vaste que le Royaume-Uni, et non deux ou trois plus petite… Des cartes qui dressent généralement une représentation terriblement déformée des continents, en réduisant considérablement la taille des pays du Sud. Ce qui amène également à rappeler que la Côte d’Ivoire demeure assez faiblement peuplée, puisqu’elle devrait compter non moins de 90 millions et 64 millions d’habitants, respectivement, si elle était proportionnellement aussi peuplée que le Royaume-Uni et l’Italie.
La Côte d’Ivoire peut donc se féliciter d’être parvenue à atteindre ce niveau de développement économique, et d’être aujourd’hui l’économie la plus dynamique du continent en tenant compte à la fois de ses niveaux de croissance et de richesse actuels (la réalisation de forts taux de croissance par des pays se classant parmi les plus pauvres, comme l’Éthiopie ou le Rwanda, n’étant pas une chose exceptionnelle), et ce, avant de devenir un important producteur de pétrole. En effet, et suite à la récente découverte d’un gisement majeur au large de ses côtes, le pays devrait prochainement faire partie des principaux producteurs de pétrole d’Afrique subsaharienne, avec un niveau de production comparable à ceux, actuels, du Ghana et du Gabon. Mais afin de lui être réellement profitable, cette nouvelle et importante manne qui s’annonce ne devra pas entraver la poursuite des réformes et des efforts de diversification et d’industrialisation du pays, qui devra notamment s’inspirer des pays pétroliers du Nord (Norvège, Royaume-Uni, Canada, États-Unis) qui ont toujours su développer les différents pans de l’économie, au nom de leur indépendance nationale, tout en atteignant un niveau élevé en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption et les détournements de fonds.