N°6 L’homme providentiel
Après la publication de Dictateur et roi (1899), ce n’est ni la phase de consolidation du pouvoir, ni celle d’instauration définitive du gouvernement normal du royaume, qui ont rapidement préoccupé Maurras.
Dès 1901, constatant au travers son Enquête sur le Monarchie, le succès de la dialectique néo-royaliste, Maurras prend conscience qu’il se heurte à un sérieux barrage. Celui de la crédibilité du projet de restauration monarchique.
Maurras juge donc indispensable d’approfondir auprès du grand public, la phase de conquête du pouvoir d’État. C’est dans un article célèbre du Figaro qu’il présente sa solution sous le titre L’éducation du Monk. Voilà le second texte stratégique de Maurras !
La stratégie de conquête du pouvoir d’État proposée par Maurras appartient au type » coup d’état « . C’est à dire, nous explique le Littré, une action décidant de quelque chose pour le bien de l’État mais aussi d’une entreprise violente par laquelle un personnage s’empare du pouvoir. Bien de l’Etat et violence sont donc associées.
En fait Maurras propose un modèle, basé sur l’existence d’un homme providentiel ignorant qu’il est royaliste. Il appartient donc aux néo-royalistes de l’éduquer pour le révéler à lui-même. Une prise de conscience à réaliser, un peu comme celle que les marxistes attendent du prolétariat sous l’action éclairée de l’avant-garde communiste.
C’est le modèle du “général Monk”. Là encore Maurras n’innove pas. En 1901, Il aligne sa stratégie sur celle précédemment déployée par le comte de Paris Philippe VII avec le général Boulanger en 1889. Celle-ci avait été révélée aux français dix ans auparavant par l’ouvrage de Mermeix Les Coulisses du boulangisme. Il existe sur le sujet l’indispensable étude de Philippe Levillain titrée Boulanger fossoyeur de la Monarchie (1982). A mettre dans les mains de tout cadre royaliste.
A la stratégie de Philippe VII, le modèle Maurrassien ajoute l’indispensable éducation intellectuelle dont le général Boulanger n’avait pas fait l’objet. D’où la nécessité de l’effort doctrinal mais aussi l’obsession de Maurras d’avoir un journal royaliste quotidien à bon marché afin de mener la bataille idéologique. Aux aficionados du gramscisme de Droite, Maurras a répondu par avance : pas de guerre culturelle gagnante sans doctrine claire et cohérente. Là encore Politique d’abord !
Second apport de L’éducation du Monk, celui du concept “d’Affaire”, auquel nous donnons XXIème siècle plus volontiers le nom de crise. C’est elle qui donnera l’opportunité d’agir à l’homme providentiel. Cette Affaire/crise est considérée par Maurras comme inéluctable. L’histoire de la jeune IIIe République le démontre dès 1901. Pour Maurras la future crise peut avoir plusieurs origines comme :
- L’agitation religieuse,
- Un scandale politique,
- Une vague d’attentats,
- Une Affaire (par exemple diplomatique) levant l’opinion.
A ce stade on reste impressionné par la capacité de Maurras d’anticiper nos crises du XXIème siècle. Il suffit de rapprocher chacune de ces quatre origines à ce que nous connaissons depuis quelques années ; de l’agitation catholique face aux agressions anthropologiques, à l’affaire de la résistance des Gilets Jaunes, en passant par les attentats islamiques, le scandale Fillon habilement instrumentalisé.
Troisième apport maurrassien, le refus d’enfermer le coup d’État dans une solution militaire. Maurras va même plus loin et affirme préférer a un porteur de sabre, un ministre de l’Intérieur ou un préfet de Police. Un ambitieux, à coup sûr (pensons à Valls et Darmanin…). C’est d’ailleurs vers le préfet de Police de Paris Chiappe que l’A.F. se tournera lors de la, crise du scandale Stavisky en 1934. Elle échouera d’ailleurs de très peu.
Cette éducation du Monk, Maurras n’aura de cesse d’y travailler dans son éditorial quotidien, tout du moins a l’intention du général Mangin sur lequel il sembla porter son espérance jusqu’en 1925. Viendra alors le temps des troubles – dissidence Valois, condamnation religieuse et danger su renouveau germaniste – qui le détournerons de son objectif éducatif.
Cette éducation du Monk, c’est bien elle que Pierre Boutang a voulu réaliser hebdomadairement avec son éditorial de la Nation Française, destiné à un dialogue personnel avec De Gaulle. Un Président qui lisait effectivement Boutang, comme Maurras l’avait envisagé « Nous écrivons pour Monck, Monck nous lit ». Le refus de sauter le pas du général De Gaulle aux élections de 1965 mettra fin au déploiement de cette stratégie de L’éducation du Monk, par Boutang dont Henri VI était censé être le bénéficiaire.
La réflexion menée en 1901 par Maurras dans L’éducation du Monck, l’a amené à faire un choix entre différentes stratégies de conquête du pouvoir. Il a retenu celle du coup d’État sur le modèle de l’homme providentiel mais les autres stratégies méritent d’être identifiées car certaines ont été déployées par les Princes de la Maison de France. Il faudra également se pencher sur les éventuels conflits d’Intérêts entre la stratégie du coup d’État déployée par l’A.F. et celles déployées par les Princes.