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Le français : offensive subie ; contre-offensive nécessaire !

Par Albert Salon, docteur d’État ès lettres 

7/2/2023

Nommer les gens, les animaux, les lieux, les choses, est un baptême, le pouvoir transcendant de les intégrer et officialiser dans une langue et une civilisation. Or, il existe en France, comme ailleurs en Europe, des acteurs influents qui privent leurs concitoyens du pouvoir de nommer dans leur langue, au profit d’une autre. 

Subissons-nous donc une offensive à contrer ? Il s’agit certes, dans la plupart des cas de dénominations étrangères, d’actes spontanés dus au simple effet d’une « puissance dominante », riche, créative, inventive, rayonnante, comme la France le fut elle-même pendant des siècles !… Aujourd’hui, c’est l’ensemble anglo-saxon, les États-Unis en tête. Cela devient un problème politique, voire de survie pour les cultures et langues dominées, quand l’effet de rayonnement spontané est non seulement accompagné (acte légitime) mais encore décuplé par une politique volontariste d’hégémonie culturelle et linguistique d’État visant à éliminer les rivaux. Entreprise constante de pays amis dans les discours, ennemis dans les faits. Il s’agit d’une offensive « de l’empire des multinationales anglo-saxonnessoutenues par leurs États »*. Ce qui a été réalisé aux Philippines, à Porto Rico contre l’espagnol, et le français aux Vietnam, Cambodge et Laos, se retrouve aujourd’hui dans la sape déterminée de la francophonie africaine, avec succès après 1994 au Rouanda, puis en 2022 : le Togo et le Gabon adhérant au Commonwealth,…. Le Canada anglophone, lui, s’acharne depuis toujours à réduire la francophonie canadienne. L’heureux sursaut récent du gouvernement Legault avec la loi 96 du Québec sera-t-il conforté dans les faits ? 

Quant à l’offensive en France et en Europe, voici des faits : les dirigeants négligent l’obligation constitutionnelle et législative de veiller à la désignation en français des initiatives, actions et choses publiques. Le Chef de l’État en donna l’exemple dès sa campagne de 2017. À l’université Humboldt de Berlin, il prononça entièrement en anglais une présentation de son projet politique urbi et orbi. Il a appelé ses aides « helpers », et popularisé l’expression de « start-up-nation » pour son projet phare de modernisation. Élu Président, il a laissé nommer en anglais quantité de politiques publiques et projets français : « French tech », « ChooseFrance », « Next 40 (forty) », et « Health Data Hub » base des données Santé publique. La loi Fioraso du 22/7/ 2013 ouvrait le droit de créer dans l’enseignement supérieur des formations diplômantes très partiellement en anglais et très encadrées. En fait, de telles formations ont proliféré exclusivement en anglais grâce à la fois à la forfaiture encouragée du ministère et au déni de justice des tribunaux administratifs saisis par nous. Le mouvement s’est accéléré de 2017 à 2023  aujourd’hui plus de 1.400 formations diplômantes sont offertes à tous exclusivement en anglais. Le même ministère osa exiger de tous candidats au supérieur un certificat de connaissance d’une seule langue étrangère : l’anglais ! Nos associations ont pu heureusement faire annuler le décret en Conseil d’État… Le ministre de l’Intérieur a appliqué la directive européenne instituant la nouvelle carte d’identité, en donnant une seule traduction : en anglais, contrairement à la loi Toubon. Alors qu’Allemagne et Autriche, sans équivalent de loi Toubon, trouvèrent en un geste élégant la place de traduire aussi en français. Saisie, Mme Carrère d’Encausse menaça de saisir le Conseil d’État… Nous le saisîmes, mais échouâmes…. Parler maintenant du rôle éminent de l’Union européenne dans cette offensive générale nous amène à dénoncer ce qui fut le premier coup d’État (en 2020, post-Brexit !…) de Mme U. von der Leyen, présidente de la Commission qui promut l’anglais « langue commune » – seule langue de travail de fait – au mépris du Conseil européen seul compétent, et des textes fondateurs de l’UEALF déposa un recours étayé de preuves en Tribunal européen (CJUE) qui se déclara « incompétent sur le fond ». Plus grave : le Haut Conseil international avait saisi le Président de la République, dès le 14/9/2020, puis à trois autres reprises. Nous en avions reçu, par plusieurs lettres de M. Clément Beaune, la promesse qu’il agirait à la faveur de son tour de présidence du Conseil de l’Union, au premier semestre 2022. Engagement écrit réitéré : non tenu ! Aujourd’hui, l’anglais « langue commune » règne dans les institutions de l’Union bien plus complètement qu‘avant le Brexit… 

Ce ne sont là que quelques faits marquants, mais hormis notre projet Villers-Cotterêts de 2001, adopté par l’Élysée en 2017 (merci !), presque tout est à l’avenant ! Comment ne pas en conclure que l’État, en fait, sinon en intention, devient partie d’une offensive de grande substitution linguistique, en Europe, dans les pays les plus longuement, progressivement, vassalisés ?

Pourquoi la contre-offensive est-elle nécessaire ? Parce que le danger de grande substitution linguistique est plus grave et plus pressant que la grande substitution démographique et religieuse. En effet : il s’attaque à l’âme des peuples, à la personnalité profonde de la France, à la cohésion de la Nation ; ses effets néfastes sont à plus court terme, car il existe déjà depuis des décennies, partout, cancer non plus localisé, mais généralisé ; en outre, les pays, la France en particulier, n’ont pas pris la juste mesure de la nuisance. Plus qu’occultée : tabou soigneusement protégé…

les pays, la France en particulier, n’ont pas pris la juste mesure de la nuisance. Plus qu’occultée : tabou soigneusement protégé… 

Qui peut, comment, mener la contre-offensive ? En théorie, deux acteurs principaux sont possibles, ensemble ou séparément : l’État et la société civile. La France, forte puissance pendant des siècles alors qu’il n’y avait aucune véritable « hyperpuissance », a exercé une très forte influence surtout dans le domaine de la culture, et sa langue connut une constante expansion chez elle et dans le monde (plus de 300 millions de francophones aujourd’hui). Agissaient alors à la fois la société civile et l’État royal, impérial, puis républicain. Ils menaient en complémentarité une action culturelle extérieure d’envergure. La société civile, ce furent d’abord les nombreux « missionnaires** » qui soignaient, enseignaient, développaient aussi. À leur action puissante s’ajoutèrent : en 1822 les protestants ; en 1860, l’Alliance israélite universelle à Paris ; en 1883 sous la IIIème République, l’Alliance française, réseau indépendant au maillage mondial à présent ; et en 1902 la Mission laïque(MLF). Sans oublier les initiatives et propositions des paladins contemporains du français et de la Francophonie : Philippe Rossillon, Xavier Deniau, Bernard Dorin, le Québécois Jean-Marc léger, le Suisse Roland Béguelin, le Belge Lucien Outers, qui ont fait éclore en France et ailleurs de belles institutions de protection du français. Ainsi : la loi de 1975, la création en 1972 de l’ancêtre de la DGLFLF, les commissions et les arrêtés de terminologie. Et à l’international : l’ancêtre de l’OIF, avec le traité de 1970 à Niamey créant l’Agence de Coopération culturelle et technique (ACCT), chapeautée, en 1986, sous F. Mitterrand, par le Sommet des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partageL’État, même sous les gouvernements très « rad-soc-laïcards », a protégé (à l’étranger !) ses nationaux religieux et a eu une politique culturelle extérieure d’abord d’aide aux « œuvres » scolaires et humanitaires des missionnaires, puis une active politique propre, complémentaire, de création d’écoles, lycées, universités, centres culturels, instituts hospitaliers et de recherche, d’instituts Pasteur, surtout sous les 3ème et 4ème, et début de 5èmeRépubliques. Sous le Général de Gaulle et Pompidou l’État eut une forte politique de coopération culturelle et technique, fondée notamment sur des effectifs importants de coopérants. Il s’agissait d’accompagner en développement les indépendances africaines, la Révolution tranquille du Québec, et de répondre aux demandes nombreuses d’États indépendants et de communautés francophones désireuses d’appartenir à une sorte de « Commonwealth à la française ». En France, les paladins cités ont travaillé en quasi symbiose avec l’État. Tout cela a de précieux restes aujourd’hui, mais l’esprit de générosité et de « rayonnement » n’a plus habité les successeurs de Georges Pompidou. L’action culturelle extérieure n’a plus été très inspirée. La politique du français en France a été de plus en plus laissée aux associations dont les subventions annuelles ont, de surcroît, fondu. Pis : l’État, depuis 1974, ne cherche plus sérieusement à décourager les contrevenants privés, voire publics, aux lois de 1975 et 1994. On ne peut plus attendre de lui qu’il mène la contre-offensive, car il semble admettre, accompagner, voire renforcer, l’offensive ; ses tribunaux eux-mêmes, judiciaires et surtout administratifs, le suivent. Pourtant, Hubert Védrine, dans ses : « Dictionnaire amoureux de la géopolitique » (Plon-Fayard), et « Une vision du monde » (Bouquins-Collection), dans le droit fil d’une tradition « gaullo-mitterrandienne », appelle à un sursaut général, donc de l’État, dans notre domaine.

Alors, comment les associations se sont-elles armées pour la contre-offensive ? Que peuvent-elles faire, et que font-elles réellement ? La première, créée en 1958, fut Défense de la Langue française (DLF), pour veiller à son bon usage, en évitant la politique linguistique. Des dizaines de créations ont suivi. ALF, en 1992, visait expressément la politique linguistique. Toutes ont, cuisant chacune « son petit frichti sur son petit réchaud », cherché les moyens de peser sur les dirigeants et sur les media, avant de se mettre en synergie pour accroître leur efficacité. La politique du français est progressivement devenue stratégique pour elles toutes qui ont progressivement soutenu les actions d’ALF : dès 1992, l’introduction de « La langue de la République est le français » dans l’article 2 de la Constitution; puis, rédigée par elle, l’esquisse de loi présentée à Mme Tasca, puis en 1993 à M. Jacques Toubon, qui en fit sa loi du 4 août 1994. En 2008, ce fut l’inscription de la Francophonie dans la Constitution, article 87.  ALF, au-delà de ses publications, démarches, procès, organisa le 18 juin 2011 la première grande manifestation de rue au Panthéon et dans le Quartier latin, avec d’autres dont la communiste COURRIEL. On lui doit aussi trois mouvements d’importance stratégique : 1) Le projet Villers-Cotterêts, lancé en 2001 du balcon du château, alors élaboré avec le FFI-France. 2) Depuis la manifestation du 18 juin 2011, les actions communes ont été multipliées : démarches, procès et recours cosignés. 3) Création, le 18 juin 2020, avec COURRIEL, l’AFRAV et DLF-Savoie, du Haut Conseil international de la Langue française et de la Francophonie (HCILFFréseau informel, mais fort actif, dont ALF assure la base principale juridique, administrative, financière. Il comprend aujourd’hui 31 associations en France, 7 en Belgique, Luxembourg, Québec et Suisse, et un total de 192 personnalités représentatives de la diversité d’orientations politiques. Ses actions ont porté contre l’offensive décrite et sur une 2ème manifestation Panthéon-Quartier-latin le 20 mars 2022. Sont prévues par le Haut Conseil des pressions continues pour une politique linguistique ; et sont en chantierles actions suivantes : rédaction d’une nouvelle esquisse de loi de protection du français, écho à la « loi 96 » du Québec et au vibrant appel à un sursaut de la France lancé par son ministre porteur, M. Jolin-Barrette, le 23 juin 2022 à l’Institut de France ;programme de pressions pour la relance d’une Francophonie économique ; étude des réseaux d’influence et d’actions du mondialisme anglo-saxon en France ; création par des sénateurs et députés d’un réseau transpartisan de parlementaires patriotes en Résistance pour le français et la Francophonie ; renforcement de la solidarité et de la convergence des luttes entre pays francophones.  

La contre-offensive est donc actuellement le fait de la seule société civile, en attendant que les pouvoirs publics se sentent à nouveau obligés d’accomplir leur mission régalienne pour le français, notre civilisation, et pour la Francophonie en dialogue des cultures. 

Chers lecteurs, aidez-cette tenace société civile : adhérez et militez, notamment à Avenir de la Langue française (ALF)Site : www.avenir-langue-francaise.fr adel : avenirlf@laposte.net*Voir d’Albert Salon : « Colas colo, Colas colère », éd. L’Harmattan, 2008 ; ** et « Une volonté française »,edGlyphe (2012), Albert Salon, ancien ambassadeur, Secrétaire général du HCILFF, président d’honneur d’ALF.