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Crise de l’État ou de civilisation ?

Par Gérard Leclerc 


publié dans France Catholique n°3006


Comment nier la tension qui caractérise la situation de la France en ce moment ? Elle se manifeste certes par des explosions de violence à Paris et dans plusieurs grandes villes. Elle se définit surtout par un blocage qui affecte nos institutions. Seul l’expédient du 49.3 permet au gouvernement de dominer l’opposition de la rue et des syndicats, pour une fois unis contre le projet de réforme des retraites défendu par Élisabeth Borne, avec le soutien du président de la République.

Faut-il parler de crise de régime ? Ce n’est pas la première fois que la Ve République se trouve en situation difficile. Le général de Gaulle et Michel Debré ont même élaboré la Constitution de 1958 pour permettre à l’État de surmonter les obstacles. Ceux-ci n’ont pas manqué depuis la crise algérienne, qui nous conduisit aux portes de la guerre civile, et l’insurrection de mai 1968, qui mit le pays à l’arrêt plusieurs semaines durant. Le caractère insurrectionnel de ces deux affrontements majeurs n’a pas abouti à la chute du régime.
C’est pourquoi il convient de relativiser le degré de gravité du blocage actuel. Mais il n’est pas interdit de réfléchir avec plus d’attention aux soubassements civilisationnels de notre société, ceux qui conditionnent notre existence sociale, au-delà des garde-fous constitutionnels. Force est alors de considérer que ce sont les fondements de notre démocratie occidentale qui découvrent leur fragilité.

Inutile de revenir sur les avantages d’un État de droit et des procédures qui protègent de l’arbitraire. Tocqueville, en son temps, les avait établies sans cacher toutefois leur vulnérabilité. De même, un penseur comme Schumpeter avait souligné comment la civilisation industrielle ne tenait que par la persistance d’un certain nombre de vertus traditionnelles, sans lesquelles elle ne pouvait subsister.

On est aujourd’hui contraint d’analyser, en dehors des critères d’un politiquement correct et de la cancel culture, les mouvements de fond qui traversent notre pays autant que la grande démocratie américaine. Ce n’est pas pour rien que les paysages politiques se recomposent, que d’anciennes formations sont en déclin et que d’autres apparaissent jusqu’à conquérir le pouvoir, comme en Italie, avec Georgia Meloni.

Sans préjuger aucunement du succès ou de l’échec de ces expériences nouvelles, on est bien obligé de constater que tout l’Occident est en proie à l’incertitude quant à ses fondements philosophiques et à son attitude face aux interdits moraux qui structurent un univers mental.

C’est à cause de cet ébranlement des certitudes, qui touchent aussi bien le respect de la vie que l’identité profonde des peuples, que le blocage de la crise actuelle offre une dimension inquiétante. Y a-t-il possibilité de confiance lorsque le consensus profond vole en éclats ? L’autorité elle-même peut-elle prétendre à la légitimité lorsqu’elle n’est plus médiation du bien commun mais se trouve vouée à une indétermination sans fond ?