La confusion de l’islamophobie
Le terme d’islamophobie fait partie de la panoplie de la polémique ordinaire. Certes, on peut lui trouver une définition relativement simple : haine des musulmans. Comme tel, il renvoie à une attitude condamnable puisqu’elle semble désigner une sorte de ressentiment à l’égard d’une catégorie de personnes qui ont droit au respect. Mais, à bien y réfléchir, l’association de personnes particulières à une religion ou à une civilisation confère à l’islamophobie une certaine complexité. En voulant prendre la défense d’une catégorie de la population, prend-on parti, dans le même mouvement, en faveur de leur croyance et de tout ce qu’englobe une certaine conception de la vie sociale codifiée dans l’esprit religieux qui s’autorise de la révélation du Coran ?
Les arcanes de l’islamo-gauchisme
Dernièrement, le quotidien Libération, dans un long article sévère à l’égard de l’écrivain Michel Houellebecq, a brandi le terme d’islamophobe pour épingler ses positions extrêmes. Doit-on comprendre que ce quotidien serait le défenseur patenté de ce que représente l’islam, ce qui ne manquerait pas de sel ? Dans un autre numéro, tout un réquisitoire contre le film Vaincre ou mourir, à la gloire de Charette, ne craignait pas d’épingler « les bons prêtres » comme suspects de pédophilie. Faudrait-il comprendre que l’islam jouirait, pour ses rédacteurs, d’un privilège refusé au christianisme ? Il est vrai que cela fait déjà longtemps que s’est répandu un islamo-gauchisme dont on peine à pénétrer les arcanes.
Un essai d’une riche érudition
Ce qui laisse intact le fond du problème. Fort heureusement, dans son dernier essai intitulé Sur l’islam, Rémi Brague prend la peine d’analyser très sérieusement cette islamophobie, en puisant notamment dans une riche érudition.
Je ne saurai résumer son propos et me contenterai de citer une mise au point que je trouve très éclairante : « Bref, en usant du mot “islamophobie” on mettra sur le même plan la science la plus exigeante et le racisme le plus obtus, la répugnance instinctive et le rejet mûrement réfléchi et argumenté. Et surtout ce qui est le plus grave, on confondra une religion avec ses adeptes. » Ainsi, ce terme polémique présente le désavantage rédhibitoire de jeter la confusion. Par ailleurs, la phobie se rapporte au domaine des pathologies mentales, celles qui « nuisent gravement à la pensée » et qu’il convient soigneusement d’éviter.
Se présente alors à nous le champ considérable qu’invitent à explorer tous ceux dont c’est le métier. Rémi Brague en fait évidemment partie, lui qui a derrière lui une trentaine d’années de travail sur le sujet. Sans doute peut-on faire preuve de sentiments forts divers dans le cours d’une telle étude. Mais peut-on être maître de ses sentiments ? À ce propos, Rémi Brague formule un conseil judicieux : « Je me permets donc d’indiquer à ceux qui seraient tentés de me traiter, moi ou d’autres, d’islamophobe, de me reprocher ou de nous reprocher de ne pas aimer l’islam, un remède autrement efficace : donnez-nous des raisons de l’aimer ! »
Ceux qui sont prompts à jeter l’anathème seraient donc bien inspirés d’approfondir leurs connaissances pour éventuellement enrichir le débat commun et permettre qu’il se développe de façon utile. Voilà une bonne raison de lire ce dernier essai de Rémi Brague !
Rémi Brague, Sur l’islam, coll. « L’esprit de la cité », Gallimard