J’ai eu l’heureuse occasion de rencontrer au cours d’une soirée, une charmante femme fort intéressante que l’on pourrait qualifier de journaliste indépendante mais qui est aussi dotée d’un vrai talent d’écrivain, royaliste subtile qui préfère construire une argumentation basée sur l’enracinement plutôt que d’écrire vive le roi à chaque phrase, ce qui dénote une patience prudente toute inspirée de nos capétiens bâtisseurs. Elle m’a permis de piller sans vergogne ses écrits nombreux qui paraissent dans une publication dénommée : « l’avorton » (est-ce une référence à Saint Paul ?) ou dans sa page « FaceBook » du Cercle très érudit le roi René. Elle nous a livré cette fois ci un article contenant un entretien sur le martyre du Liban, mais aussi sur l’espoir qui continue à construire et reconstruire ce beau pays du levant historiquement lié à la France.
Olivier Perceval
Par Ina Phisinov
Dans notre société de donneurs de leçons, chez les propagateurs de morale moralisante, parmi les vertueux tribuns portant haut les couleurs du wokisme, il est de bon goût de clamer son soutien envers des opprimés, à l’égard de minorités, à l’encontre d’une poignée de phalanstères vivant à l’autre bout du monde. Outre la douceur ainsi procurée à la conscience de tels individus autrement anodins, ce patronage largement annoncé dans les médias motive des louanges largement imméritées pour un défenseur somme toute de pacotille. Ainsi en est-il d’un célèbre footballeur français au système capillaire bouleversant qui, quand il n’a pas mal à sa France, soutient les Ouïghours, ainsi en est-il d’un acteur hispanique de renommée hollywoodienne qui soutient les Sahraouis, ainsi en est-il des défenseurs de salon de tout poil qui, sur des dizaines de pages de papier glacé, soutiennent les Afars, les Mpongwes, les Gouros ou encore les Sérètes. Je ne dis pas là que ces gens ne doivent pas être aidés, loin de moi cette pensée, simplement pourquoi s’agissant de générosité et de bienveillance – pas toujours avérées – l’homme moderne a-t-il, là aussi, besoin de paraître ?
Les chrétiens également souffrent, et bien plus qu’on ne l’imagine ! Mais dans un monde où la laïcité s’attache davantage à bouffer du curé qu’à aborder des sujets qui fâchent, les vermisseaux qui brillent sous les feux des projecteurs médiatiques se pensent plus exotiques en tendant leurs mains fielleuses de parvenus en direction de tout autre qu’un fidèle du Christ. Je suis agnostique, je n’ai donc aucun intérêt particulier à défendre ici. Simplement, je trouve dommage que l’idéologie prenne le pas sur l’histoire, que la haine de soi pousse à la négation du passé.
Pour ce numéro, la direction de la publication a décidé de donner la parole aux chrétiens du Liban par la voix d’un étudiant libanais inquiet de la situation dans laquelle se trouvent ses coreligionnaires, notamment depuis la catastrophe d’août 2020.
Rappelons toutefois en quelques mots, avant de nous entretenir avec lui, que la Phénicie, riche de ses forêts ayant permis à ses habitants de se faire grands navigateurs, a rayonné sur le monde méditerranéen lui donnant ainsi l’aura qui est la sienne. Précisons avec les mots de Gérard de Nerval que le « pied du Liban est le point de la terre où eurent lieu les scènes primitives de la Bible », de fait la religion en question s’y est développée faisant de ce pays la terre de la chrétienté primitive. Avec le temps, les adeptes forment une communauté, celle des maronites, sous l’impulsion de saint Maron, dont la destinée va croiser celle des Européens, donnant ainsi naissance à des liens d’amitié indéfectibles. Puis, avec la conquête mamelouke de la fin du XIIIe siècle, les chrétiens du Liban vont être placés sous la domination de l’Empire ottoman, qui prendra fin seulement avec la Première Guerre mondiale. Les accords de Sikes-Picot de mai 1916 d’abord puis la conférence de San Remo d’avril 1920 dessinent la nouvelle carte du Moyen-Orient qui perdurera près d’un siècle durant, bien que la création de l’État d’Israël en 1947 ne fasse naître les premiers troubles avec les flux massifs de population palestinienne.
Voilà donc brossée à grands traits l’histoire du Liban et des chrétiens libanais. Il est temps, dès lors, d’interroger Sébastien Panhard**, dont un proche a de grandes responsabilités à la tête de l’armée libanaise.
Ina Phisinov (IP) : Pourquoi avoir quitté le Liban pour venir étudier en France ?
Sébastien Panhard (SP) : Au Liban les écoles et les universités d’État sont de piètre qualité. Pour obtenir un diplôme ayant de la valeur, nous sommes contraints de fréquenter les établissements privés qui, évidemment, ont un coût. Mes parents ont dû débourser 10 000 dollars pour ma licence d’économie, obtenue en 2020. Toutes les familles n’ont pas les moyens de consacrer une telle somme aux études de leurs enfants. Je suis conscient de la chance qui a été la mienne, mais souhaitant poursuivre au-delà ma formation, j’ai décidé de venir en France comme de nombreux autres jeunes. D’autant que, depuis la crise, les changements ne cessent de croître qui m’empêchent de reconnaître mon pays. Avant elle, le Liban comptait 39% de chrétiens, depuis nous représentons moins de 25% de la population.
IP : Les chrétiens s’opposent-ils au reste de la population libanaise ?
SP : Pas du tout. Les populations chrétienne et musulmane ne veulent pas se battre. La haine de l’autre naît seulement dans l’esprit pervers d’individus qui souhaitent envenimer les choses pour avoir leur heure de gloire.
IP : Que s’est-il passé le 4 août 2020 ?
SP : Un dépôt de nitrate d’ammonium qui se trouvait dans le port de Beyrouth a explosé faisant des dizaines de victimes. Il a été dit qu’un incendie survenu à proximité avait entraîné la catastrophe. Or, selon les spécialistes, ce composé ionique n’explose jamais à cause du feu. Ici, le brasier n’a été qu’une diversion déclenchée pour que l’opinion internationale ne pose pas trop de questions.
IP : Pourquoi le nitrate d’ammonium était-il stocké au cœur du port de Beyrouth ?
SP : En 2014, l’armée libanaise a arrêté un navire qui en était chargé dans les eaux territoriales, en partance pour la Syrie. L’entrepôt a été construit spécialement pour garder la cargaison et le Hezbollah en a pris le contrôle. Dès lors ni l’armée, ni les renseignements, ni les douanes n’étaient autorisées à pénétrer dans l’enceinte de stockage, seul le superviseur de l’entrepôt pouvait entrer et le Hezbollah a fait pression pour que le nitrate d’ammonium demeure sur place.
IP : Personne ne s’est donc opposé à ce que cette source de danger reste dans le port ?
SP : Badri Daher, le directeur général de la douane a envoyé une lettre aux gens concernés pour mettre en évidence la dangerosité du composé ionique dans un lieu où la densité de la population était aussi élevée mais personne n’a rien fait.
IP : Pourquoi le Hezbollah contrôlait-il cet entrepôt ?
SP : Avec le nitrate d’ammonium on fabrique de l’engrais pour les jardins, certes, mais on fabrique surtout des armes. Dans l’explosion de Beyrouth, 700 tonnes de nitrate ont explosé. Or, l’entrepôt en contenait 2 700… Où est passé le reste ? Quelques temps après, des obus ont explosé en Syrie engendrant les mêmes nuages blancs que ceux apparus dans le ciel de Beyrouth en fin de journée ce triste 4 août 2020. Vous voyez où je veux en venir ? Le nitrate disparu ne s’est pas perdu pour tout le monde.
Ordinairement, Le Hezbollah a pour habitude d’accuser Israël de tous les maux. Pas cette fois. Cette explosion serait un accident et non une attaque. Israël, de son côté, a twitté qu’« une cible du Hezbollah avait été exécutée ». Twitt d’ailleurs très vite retiré au vu des dégâts et du nombre de victimes.
IP : Quelles ont été les conclusions de l’enquête ?
SP : Après l’explosion, le gouvernement a démissionné. Les suspects étaient des ministres alliés au Hezbollah ou des membres de ce dernier. Tous ont été convoqués pour être interrogés… mais ils ne se sont pas déplacés. Seul Badri Daher a été emprisonné, qui pourtant avait fait son travail en prévenant que le dépôt représentait un danger pour les Beyrouthins. Il restera incarcéré du 6 août 2020 au 25 janvier 2023.
Évidemment, une telle attitude n’a pas satisfait les autorités. Alors, le procureur général a demandé que l’ex-ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, soit entendu car il est soupçonné d’avoir un lien avec l’explosion. Et c’est l’émeute, une véritable manifestation armée du Hezbollah. Des tireurs, cachés ou non, ajustent leur lunette et font feu, les répliques ne se font pas attendre, auxquelles d’autres répondent encore… dans la banlieue chrétienne de Beyrouth. Tout le monde accuse tout le monde et c’est tellement confortable pour l’État de ne rien dire.
IP : Oui, mais la troïka au pouvoir suivant des lignes religieuses strictes en est peut-être la cause. Avec un président chrétien maronite, un président de l’assemblée musulman chiite et un premier ministre musulman sunnite, il est difficile de prendre parti pour telle ou telle part de la population.
SP : Nous sommes tous Libanais et l’armée libanaise nous défend tous. En revanche le Hezbollah ne vit que pour lui et les siens, donc contre les chrétiens.
IP : Quel est aujourd’hui votre souhait le plus cher ?
SP : Les chrétiens n’ont plus d’espoir ! D’ailleurs même les plus attachés d’entre nous à notre beau pays, appelé la « Suisse d’Orient » dans les années 1960, partent. Tous leurs rêves sont brisés ! Ce qu’il faudrait c’est que le Hezbollah laisse tomber les armes pour n’être plus qu’un parti politique. Il faudrait sortir de l’iranisation pour que nous soyons soulagés. Mais pour que cela arrive, des accords doivent être passés entre l’Iran, les États-Unis et les autres grands pays… hélas, nous en sommes loin. D’autant que les partis politiques chrétiens ne nous encouragent pas vraiment, nous étudiants, à rester dans notre pays pour tâcher de le sortir du marasme dans lequel il s’enfonce chaque jour un peu plus (contrairement aux autres partis politiques qui font tout pour garder leur jeunesse au pays). Pourtant l’Église maronite a beaucoup d’argent, il n’y a qu’à voir leurs riches convois de voitures à travers les rues pour s’en rendre compte.
Le pays de mes ancêtres n’est plus, celui de mon père non plus, quant au mien… que dire ? Les changements démographiques sont tels, aggravés par la crise par ailleurs, que le Liban de saint Charbel n’est plus qu’un mythe. C’est dommage. Aujourd’hui les chrétiens du Liban sont étouffés.
Le témoignage de Sébastien nous amène à deux conclusions. D’une part, les chrétiens, à travers le monde, sont ignorés, dans le meilleur des cas, malaimés, voire persécutés et, finalement, bien peu font cas de leur quotidien troublé. D’autre part, la volonté d’oublier le passé, souvent, de le détruire, parfois, entraîne une uniformisation mondiale que je qualifie d’abjecte, surtout qu’elle se fait principalement au bénéfice de l’argent et de la bêtise. Toujours aller de l’avant, toujours être plus progressiste que le plus grand partisan du progrès, voilà bien une position qui annihile les hommes pour n’en voir qu’un, hélas bien peu admirable.
Je trouve bien triste la visite rendue par le président de notre République ploutocratique aux Libanais après l’explosion. Comment peut-il se déplacer pour expliquer comment cultiver son jardin quand il est incapable de cultiver le sien ? Comment peut-il donner de l’espoir en vaines paroles à des hommes qui boivent ses propos car ne le subissant pas, depuis plusieurs années, à la tête de ses mensonges ? Mais je m’emballe, la médiocratie actuelle m’insupporte et me fait sortir de mes gonds. L’homme moderne (à qui j’enlève sa majuscule puisqu’uniquement préoccupée de sa minuscule personne), sous couvert de générosité, de tolérance et de bienveillance s’applique seulement à œuvrer pour sa petite conscience crasse.
Le Liban est notre frère, notre ami, notre allié. Nous avons une histoire commune façonnée par les siècles… depuis une visite de Louis IX ! Nous ne pouvons pas ne pas voir, nous ne pouvons pas ne pas entendre, nous ne pouvons pas ne pas tendre la main. Je terminerai avec les mots d’Alphonse de Lamartine qui me semblent parfaitement convenir ici : « Les cèdres du Liban sont les reliques des siècles et de la nature, les monuments naturels les plus célèbres de l’univers. Ils savent l’histoire de la terre, mieux que l’histoire elle-même ».
*Voyage en Orient, tome I, Gérard de Nerval, 1884
**Nom d’emprunt utilisé afin de conserver l’anonymat de notre interlocuteur
Photo : Saint Charbel © Scrib’Aix : Merci à Jane, la gardienne de la chapelle Saint-Jean-Baptiste enfant à Saint-Michel l’Observatoire, de nous avoir permis de photographier ce portrait exposé dans l’ermitage