Par Gérard Leclerc
Dix ans après le vote de la loi Taubira sur le mariage dit « pour tous », on peut s’interroger sur le bilan d’une réforme fondamentale de notre droit et sur les suites de l’opposition incarnée par La Manif pour tous. Contrairement aux allégations de certains, il ne s’agissait pas d’accorder une liberté supplémentaire à une catégorie méprisée et qui n’aurait rien modifié quant au droit des autres. Il s’agissait, bien au contraire, d’une réorientation philosophique majeure qui changeait le sens même de l’institution du mariage, telle que léguée par la tradition immémoriale de l’humanité. Qu’on le veuille ou non, la différence sexuelle est fondatrice de la constitution même des sociétés. « Homme et femme, il les créa », est-il inscrit au Livre de la Genèse. Il s’agit d’une distinction à la fois philosophique et théologique aux implications considérables.
Ce qui fonde le droit
Pierre Legendre, historien du droit, a consacré une œuvre essentielle à la fondation du droit et aux interdits qui le structurent et sont condition d’humanisation. Ils se rapportent nécessairement aux règles du mariage et de la filiation. Or, celles-ci sont violentées par une loi qui méconnaît l’obligation de la différence des sexes et autorise d’avance ce qui en résulte en fait de procréation médicalement assistée et de gestation pour autrui. Et le mouvement se poursuit avec la fascination pour le transgenre qui résulte infailliblement de la théorie du gender.
Malheureusement, il faut bien constater qu’une grande partie de l’intelligentsia et des médias est non seulement indulgente à de telles dérives mais les a, d’ores et déjà, intégrées.
Comment le combat engagé il y a dix ans par La Manif pour tous ne serait-il pas légitimé par une cause qui n’est pas du tout contingente, en raison d’une menace qui plane sur l’avenir de nos sociétés et des générations à venir ? On a bien pu parler de bataille perdue, en se lamentant sur la propension des catholiques à rester accrochés à des convictions fragilisées par le cours des temps. Mais c’est avoir une vue bien courte des enjeux de l’histoire. Le progressisme d’hier affirmait inéluctable la cause communiste et l’on sait ce qu’il est advenu de l’horizon indépassable dont parlait Sartre.
Une génération aguerrie
De même, c’est avoir une compréhension bien courte du phénomène de La Manif pour tous que de conclure à un échec sans remède. Au-delà des immenses foules rassemblées sur le moment et qui démontraient l’enracinement populaire d’une réaction, il y a toute une génération qui s’est aguerrie intellectuellement, a gagné en compétence et se retrouve aujourd’hui brillamment aux avant-gardes de la controverse en faveur des convictions les plus fortes, les plus rationnelles et les plus vitales.
Dix ans après, il n’est donc pas question de se démobiliser, encore moins de se renier. Il s’agit au contraire de poursuivre une entreprise de reconquête des intelligences. Avec le mariage, comme le soulignait Pierre Legendre, c’est la construction même de l’individu qui se profile, comme issue d’une alliance sans cesse fondée entre l’homme et la femme.