La Légion étrangère est une spécificité française. Créée sous Louis-Philippe, elle agrège, autour de son fanion rouge et vert, des hommes singuliers, venus du monde entier pour « acquérir richesse et gloire », comme disaient les Vikings lorsqu’ils partaient en expédition. Faux noms, passé mystérieux, courage au feu, excès, bagarre et désert : la Légion est rapidement devenue un mythe dans le monde entier. Rares, pourtant, sont les pays qui ont réussi à transposer cette réussite chez eux. Les Espagnols ont essayé, du temps de José Millan Astray (auteur de l’immortelle repartie « Abajo la inteligencia, Viva la muerte »), de former leurs propres « fiancés de la mort », qui furent notamment commandés par le jeune Francisco Franco, et existent toujours. Mais force est de constater que seule la Légion française arrive à réaliser, dans une gangue de fer, un petit miracle d’assimilation par le feu.
L’une des clés de ce miracle se reproduit à chaque Noël. Le 24 décembre au soir, selon une tradition ancienne, les 9.000 officiers, sous-officiers et légionnaires sont entre eux, que ce soit en opération extérieure ou au quartier. Les familles le savent et l’acceptent. Chaque unité a préparé sa propre crèche, avec des trésors d’imagination et d’artisanat, voire de débrouille. Il y a un concours très disputé, puis des sketches. C’est alors le moment de dire, sous couvert de rigolade, ses quatre vérités au lieutenant ou au capitaine : pendant presque tout le reste de l’année en effet (à l’exception, peut-être, de l’Épiphanie), aucune soupape ne permet à « Monsieur Légionnaire » de moquer la hiérarchie ni même de remettre en cause les ordres. L’efficacité est au prix de ce silence. Il y a une messe (obligatoire), puis l’on festoie, souvent jusqu’à l’aube, en attendant que le colonel parte. Les carnets de chants sortent et les voix s’élèvent dans la nuit. Tout est comme suspendu.
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