Par Gérard Leclerc
De 1984, le célèbre roman de George Orwell, on a souvent retenu deux expressions particulièrement parlantes : « police de la pensée » et « novlangue ». L’une et l’autre s’entendent dans un régime panoptique – où tous les individus sont sévèrement surveillés de façon constante. Pourtant, elles sont souvent reprises pour qualifier les travers d’une société qui se veut libérale. C’est qu’il existe d’autres procédures de contrôle de la pensée que celle des États totalitaires. Et elles apparaissent parfois dans des contextes de prétendues libérations. Ainsi, dans les années post-soixante-huitardes, on a observé l’apparition de « commandos d’action épistémologique », dont la tâche était de veiller sur l’orthodoxie de l’enseignement, pour interdire toute déviation possible de la pensée. On se trouvait alors dans tout un milieu « révolutionnaire » dans l’obligation de parler « marxien » sous peine d’être ostracisé.
Commandos intellectuels
Il est vrai que ce fut, selon l’expression de Maurice Clavel, « un été de la Saint-Martin » pour ce sabir marxien, qui allait disparaître avec les révélations de Soljenitsyne sur l’URSS, puis l’effondrement du bloc soviétique. Mais d’autres formes de commandos intellectuels et d’autres novlangues sont apparues ces dernières années, avec ce qu’on appelle le « wokisme » et la « cancel culture ». Ces phénomènes venus des universités américaines ont peu à peu contaminé les nôtres, et ceci à tel point qu’il est devenu extrêmement difficile de s’en prémunir et même d’en montrer les excès. Ainsi un colloque tenu en janvier 2022 à la Sorbonne pour remettre en question la « déconstruction » a-t-il été dénoncé comme insupportable (actes du colloque Après la déconstruction. L’Université au défi des idéologies, Odile Jacob).
La littérature et l’édition
Force est d’observer aujourd’hui que le front de la police de la pensée ne cesse de s’élargir, avec une entreprise de conquête de la littérature et de l’édition en général, en s’inspirant encore d’un courant venu d’outre-Atlantique. On parle à ce propos d’un politiquement correct qui implique une révision drastique des textes qui ne sont pas conformes à un certain nombre de canons idéologiques.
Aux États-Unis, les maisons d’édition sont désormais pourvues d’équipes de correcteurs et d’avocats chargés de relire minutieusement les manuscrits afin d’y débusquer tout ce qui pourrait porter atteinte aux sentiments de certaines catégories sociales. Et ce travail de censure se poursuit à l’égard des monuments de la littérature, que l’on ne craint pas de réécrire lorsqu’ils ne correspondent pas aux standards de la correction contemporaine. C’est dans ce contexte qu’un député LR de Seine-et-Marne, Jean-Louis Thiériot, vient de proposer un projet de loi pour protéger la liberté de création. Seul l’auteur doit être en mesure de s’auto-corriger ou de retirer une de ses œuvres s’il en éprouve la nécessité. Le député s’en est expliqué dans une tribune au Figarovox : «Les symptômes sont différents, mais la philosophie est la même : la déconstruction de la civilisation et de l’anthropologie occidentales, au nom d’une solidarité victimaire des minorités analysée au seul prisme du couple dominant-dominé cher à Bourdieu et à ses affidés. La stratégie est limpide. Il s’agit de faire masse de toutes les victimes réelles ou supposées, ‘racisées’, ‘colonisées’, ‘communautés LGBT+’, femmes discriminées pour alimenter le brasier des luttes intersectionnelles ».
Et pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Pourquoi nos néo-censeurs ne s’attaqueraient-ils pas aux textes même de la Bible pour peu qu’ils dérogent à la mentalité contemporaine…