Ina Phisinov
Balzac, Voltaire, Hugo, Chateaubriand, Molière, Flaubert, Proust, Diderot… et j’en passe, la liste est loin d’être exhaustive, mais j’ai beau chercher, je ne trouve nulle trace du grandissime auteur du XVIe siècle Étienne de La Boétie dans les programmes établis pour l’enseignement du français au lycée. Avant, pendant, comme après les réformes menées par chaque ministre de l’Éducation nationale à son arrivée à l’Hôtel de Rochechouart, jamais ce brave Étienne n’a compté parmi les auteurs étudiés par notre chère descendance, celle en qui l’on croit, celle pour laquelle on doit tout mettre en œuvre pour qu’elle hérite d’une terre à peu près vivable à notre mort ! À part peut-être les adolescents ayant la chance de vivre leur scolarité dans le pays sarladais où cet auteur magnifique a vu le jour… Pourquoi donc me direz-vous ? Mais, d’abord, savez-vous quel texte l’a rendu célèbre ? Trop peu nombreux sont ceux qui le savent… et c’est là l’objet demon billet d’humeur.
En 1548, alors que le jeune Étienne de La Boétie n’est âgé que de dix-huit ans, il suit avec une grande attention la révolte de la Gabelle* qui éclate alors en Guyenne. Le connétable, Anne de Montmorency, et le duc d’Aumale, à la tête d’un millier d’hommes d’armes et de près de dix mille fantassins ont alors été chargés par le roi de France de mâter les séditieux… je vous laisse imaginer la brutalité de la chose ! Voilà, je suis sûre que vous avez maintenant devant les yeux les individus massacrés, les champs dévastés, les habitats détruits, les animaux sauvagement tués… Eh bien, Étienne de La Boétie a ressenti les mêmes choses que vous : l’horreur et l’incompréhension face à de tels actes. Comment le dirigeant du royaume pouvait-il laisser massacrer ainsi ses sujets ?
Le Discours de la servitude volontaire (souvent cité par Michel Maffesoli dans Le temps des soulèvements), puisque c’est de lui dont il s’agit, remet alors en cause la légitimité de ceux qui gouvernent. Eh bien ce n’est donc pas étonnant qu’on n’entende pas parler de lui dans les programmes de l’enseignement secondaire. Imaginez un instant que nos braves lycéens le lisent et le comprennent… ce qui n’est pas forcément gagné vu le délabrement du système !
Depuis plus d’un lustre maintenant, nous ne pouvons regarder la télévision, écouter la radio, surfer sur la toile ou lire les journaux, sans être lobotomisés par l’omniprésence des propos électoraux : aux États-Unis, en Europe… on voudrait nous faire croire que notre voix, notre volonté peut jouer un rôle pour notre avenir…
Mais, à moins d’être particulièrement naïf, pour ne pas dire plus, il me semble que nous formons davantage de grandes masses de moutons, de gros groupes de pigeons et surtout de parfaits poissons rouges ! Le citoyen lambda continue d’aller voter… pour rien ! Alors si ce n’est par conviction profonde, c’est du moins un choix pour un moindre mal. Et oui, sur les photos, dans leurs programmes (enfin, ce qu’ils nomment ainsi), durant les échanges que les journalistes veulent bien nous montrer, les candidats aux élections sont toujours souriants, courtois… enfin, bref, bien mielleux comme il faut ! Mais ensuite, une fois installés sur leur trône (car c’est bien ainsi qu’ils considèrent le siège qu’ils viennent de remporter) qu’en est-il vraiment ? La Boétie, lui, explique que « c’est un extrême malheur d’être sujet à un maître, duquel on ne peut jamais assurer qu’il soit bon, puisqu’il est toujours en sa puissance d’être mauvais quand il voudra… ».
Il faudrait, je pense, que nous cessions de voir en la République le régime politique parfait, garant d’une belle et bonne démocratie. C’est un régime comme un autre qui se défend quand il se sent menacé et qui, de fait, est donc capable d’aller à l’encontre de ses principes pour sa propre survie. Et, quoi qu’il en soit, même dans son fonctionnement normal, il a besoin d’une chose essentielle : contrôler la société pour mieux la diriger… comme il veut !
Alors, oui, nous nous rendons aux urnes chaque fois que nous y sommes convoqués, même si le taux d’abstention peut parfois grimper de façon impressionnante, mais finalement c’est ainsi que nous choisissons nos « tyrans ». Nous légitimons là la puissance et le pouvoir que vont faire régner en maîtres absolus nos braves dirigeants… alors, à y regarder de plus près, nous constatons qu’une poignée de puissants avance à son gré les pions que nous sommes ! Mais une fois élus, délibérément désignés et portés au pinacle, ces individus ne peuvent que profiter de notre naïveté et nous faire bien sentir notre servitude volontairement choisie !
Alors, loin de moi l’idée de souhaiter l’anarchie et le chaos, mais râler lorsque les dés sont jetés, de notre main même, ne me semble pas très honnête à l’égard de notre propre conscience… lisez donc ces quelques lignes d’Étienne de La Boétie et votre vision de notre beau monde en sera peut-être changée…
*Dans les années 1540, l’impôt sur le sel crée de multiples tensions qui aboutiront aux émeutes en Angoumois au début du règne d’Henri II. Car, qui dit impôt, dit fraude et répression. Ainsi donc les faux sauniers pratiquaient-ils la contrebande pour laquelle ils étaient alors recherchés et poursuivis, mais ceux qu’ils fournissaient également…