Par Gérard Pol
En 1927, le 10 rue Mazarine est noté comme étant le lieu de la permanence aixoise de l’Action française… C’était l’hôtel de Ribbe, du nom d’une illustre famille de l’aristocratie provençale, une de celles que Maurras avait connues dans son enfance, adolescence et jeunesse à Martigues et à Aix lorsqu’il fit ses études secondaires au Collège catholique ; où il fut d’ailleurs l’élève de l’abbé Penon, futur évêque de Moulins, l’une des grandes rencontres de sa vie (sa tombe est à Simiane où Maurras se rendait chaque année en septembre, après avoir visité le tombeau de Mistral à Maillane).
36 ans après 1927, plus précisément en septembre 1963, le 10 rue Mazarine n’était plus le siège de l’AF à Aix mais il en était toujours l’un des centres avec La Reine Jeanne du cher Joseph Brissac, la confiserie du cours Mirabeau, mondialement connue pour l’excellence de ses calissons ! S’il est quelqu’un pour qui l’AF fut au quotidien, réel et non mythique, pendant quelques décennies, ce fut cet Aixois d’un dévouement discret qui ne se poussait pas du col.
En 1963, l’hôtel de Ribbe avait perdu ce qu’avait dû être son animation d’autrefois. C’était toujours un superbe hôtel particulier comme il n’en existe d’aussi beaux qu’à Aix. Un peu suranné, un peu défraichi, d’un confort spartiate. Les étudiants d’AF qui y logeaient le temps de leurs études s’en amusaient un peu. Mais l’entrée était majestueuse avec sa chaise à porteurs et son grand escalier. L’hôtel ne semblait plus occupé que par une demoiselle hors d’âge, diaphane et fragile, Mademoiselle de Ribbe, venue d’on ne sait quels temps anciens, vêtue de même et qui recevait dans un grand salon qui semblait être la seule pièce de cette demeure si belle qui bénéficiât d’un éclairage électrique ! Assez faible, d’ailleurs.
C’est dans ce salon que j’ai rencontré Mademoiselle de Ribbe et l’AF pour la première fois – qui ne devait pas être la dernière puisque j’y suis toujours ce jour-ci. Comme tous les autres.
Je n’y avais pas encore adhéré, ce que je devais faire 3 mois plus tard. Mais un ami étudiant et moi avions décidé de nous rendre à Roquevaire dans l’après-midi pour l’hommage à Maurras, qu’organisait l’AF sur sa tombe, chaque année. Tout simple hommage conduit par l’irremplaçable – et irremplacé – Pierre Chauvet dont j’ignorais que je devrais le voir ensuite, pendant 30 ans chaque jour, pour cette « AF au quotidien » que nous aurions à vivre (la vraie, pas la rêvée ni fantasmée). Puis Xavier Vallat qui avait été compagnon de prison de Maurras à Clairvaux avait récité la Prière de la fin. Je l’avais déjà lue, mais lui la disait de sa chaude voix d’airain d’avocat d’autrefois. Il avait été entre les deux guerres, comme héros de 1914-1918 et comme député de l’Ardèche, un des grands orateurs de la Fédération nationale catholique du général de Castelnau…
Après, Roquevaire, nous nous étions retrouvés le soir – j’y reviens – à l’hôtel de Ribbe, dans le cadre que j’ai décrit, pour justement une conférence de Xavier Vallat.
Je ne me souviens pas dans le détail de ce qu’il y a dit. Je me souviens toutefois qu’il nous a parlé ce jour-là de notre devoir primordial de soutien et de fidélité au Prince. Je n’y ai jamais manqué, et je m’inquiète parfois qu’il ne soit plus toujours parfaitement compris et respecté dans le public royaliste. Et même parmi les militants.
Il faudra bien réapprendre un jour à tous la vertu de fidélité. Elle fut l’un des fondements le cette ancienne France que Péguy aimait…
J’ai raconté tout ça un peu trop longuement. Mais je me dis qu’il faut garder pour nous et pour tous ceux qui viennent et viendront, et surtout pour notre jeunesse, un peu de cette épaisseur historique et humaine qui forge une aristocratie militante pérenne, mieux que des pancartes, des mots d’ordre ou des slogans…
Les temps qui s’annoncent exigeront ce que Thibon appelait « des hommes de plein vent » !