Ina Phisinov
Notre-Dame du Réal, vous connaissez ? Un bijou du XIIesiècle au cœur de l’une des vingt-et-une métropoles de Charlemagne, rien que ça ! Une merveille située sur l’un des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, un édifice d’une beauté incroyable ! Des pierres noires, d’autres blanches, des lions stylophores, le mariage du roman et du gothique, des orgues offerts par Louis XI… Serais-je partiale ? Certainement ! C’est « ma » cathédrale, mais les plus grands historiens de l’art, nombre d’architectes et simples amoureux des belles choses le disent aussi : Notre-Dame du Réal, à Embrun, est d’une beauté exceptionnelle ! Et puis… et puis l’autel dédié à sainte Jeanne d’Arc, canonisée en 1920, inauguré le 8 août 1937. Jeanne y est honorée de manière singulière en 3 peintures : Jeanne bergère entourée de ses moutons, Jeanne guerrière portant son armure, Jeanne condamnée ligotée sur le bûcher… Chaque fois, je suis bouleversée !
Mais, je dois l’avouer, Notre-Dame du Réal n’est pas la seule admirable. La cathédrale Notre-Dame de Bayeux est remarquable, la chapelle Notre-Dame des Anges d’Ouhans est saisissante, la chapelle Notre-Dame de Lourdes à Montperreux a une acoustique exceptionnelle, l’église Notre-Dame du Cap Lihou de Granville est accueillante, l’église haute de Banon est lumineuse, la cathédrale Saint-Sacerdos de Sarlat est sombre et mystérieuse… et combien d’autres encore sont telles ?
Alors quand j’entends l’ancienne ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, expliquer dans les colonnes des journaux et sur les plateaux de télévision que des églises « sans grand intérêt » pourraient être détruites, d’une part car il y en a trop et, par ailleurs, parce que les moyens manquent pour les entretenir, les bras m’en tombent. Pour qui se prend-elle ? Qui est-elle pour se permettre de tels propos ? Malheureusement, le massacre a déjà commencé, et ce bien avant que la multi-carriériste, finalement incompétente en tout, ne tiennent ces propos : la chapelle Notre-Dame de Gwel-Mor à Morgat (janvier 2019), la chapelle des Goélands à Saint-Jean des Monts (janvier 2019), l’église de Quizac à Bellevue (septembre 2018), l’église d’Asnan (été 2018), la chapelle de la Trinité à La Haye les Roses (août 2018), Notre-Dame de l’Espérance (avril 2018), la chapelle Saint-Bernard (janvier 2017), la chapelle Saint-Martin à Sablé sur Sarthe (juillet 2017), la chapelle Saint-Louis à Yvetot (octobre 2016), l’église de la Ferrandière à Villeurbanne (février 2016), la chapelle Saint-Martin à Carcassonne (été 2016), l’église de l’Acarouany en Guyane (juin 2016), la chapelle Sainte-Thérèse à Saint Jean des Monts (avril 2014), la chapelle du Pensio au Puy-en-Velay (début 2016), la chapelle conventuelle de Nantes (début 2016), l’église Notre-Dame des Anges à Belfort (août 2015), l’église Saint-Pierre aux liens à Gesté (2013)… J’arrête là la litanie qui semble ne pas vouloir finir !
La destruction est en marche depuis longtemps ! Le saccage de notre patrimoine architectural religieux est programmé, installé… dévastateur !
La loi du 9 décembre 1905, tragique, est la pierre angulaire sur laquelle s’appuieront tous les esprits anticléricaux d’abord puis destructeurs et progressistes ensuite. C’est la séparation des Églises et de l’État… un inventaire descriptif et estimatif est alors entamé concernant les biens mobiliers et immobiliers des établissements du culte qui doit être achevé le 11 décembre 1908 au plus tard. Le but ultime est de mettre ce qui est classé dans les musées et de vendre le reste. Pour Maurice Barrès*, « c’est une œuvre de mort », pour moi, c’est l’incompréhension, la dévastation. Comment une idéologie peut-elle permettre cela ? Comment au nom d’un système de pensée peut-on agir de la sorte ?
Bien sûr la conservation coûte cher… mais l’identité, la culture, la tradition me semblent fondamentales. Démolir une église, une chapelle, parce que leur entretien est onéreux pour les remplacer par un parking, un centre commercial ou encore un immeuble est une aberration. Brader notre héritage pour que croisse une société sans idéal, sans envie, sans culture est d’une totale absurdité. La question relève d’un choix politique, d’options budgétaires. Les élus ont-ils envie de mettre de l’argent dans le patrimoine ? Il est évident que pour certains maires le patrimoine cultuel est la dernière roue du carrosse quand il s’agit de dotation.
La commune de Paris en est le parfait exemple ! Là, il est davantage question de fausse écologie, de baignade dans la Seine et autre mièvrerie bien bobo que de protection d’un quelconque héritage. Héritage… le mot même la rebute qui est en parfaite opposition avec le progressisme à tout crin, de mise au sein du conseil municipal. Et pourtant le patrimoine cultuel parisien est gigantesque… et mondial !
Certains d’entre nous s’accrochent à ce patrimoine, beau, réminiscence de notre culture, de notre « nous » profond, grandiose, élégant, à l’opposé des constructions modernes – fades, altérables, disgracieuses, voire vulgaires – mais qui, hélas, renvoie à l’image du Français amoureux de ses traditions. L’architecture cultuelle incarne le paysage français, voilà en quoi elle est aujourd’hui répréhensible, voilà pourquoi les dirigeants toujours plus extrêmes dans leur volonté d’oublier le passé, se permettent de la ruiner, voilà pourquoi des incultes la méprisent alors qu’ils sont méprisables eux-mêmes.
Bien sûr, une société ne peut fonctionner sur le principe de l’accumulation, certes… mais il faut savoir faire des choix, LES choix ! Bien sûr, l’idée de patrimoine est fondamentale mais elle ne doit pas mener à l’accumulation muséale : promenez-vous dans la cité de Carcassonne, dans le village de Beynac… ce ne sont plus que rues touristiques, sans âme, sans vie ! Bien sûr, le patrimoine coûte cher, mais la France « fournit les modèles dans les mœurs, dans les manières et dans les parures »**, on se doit donc de l’entretenir. Si notre patrimoine fout le camp, c’est toute notre identité qui s’en va, c’est notre nous viscéral qui se décompose et notre pays, finalement, n’est plus celui que l’on connaissait, que l’on connaît… Et dans ce cas, rien ne sert de s’accrocher à notre baguette, à notre béret, à nos fromages, à notre pinard, à tous ces symboles qui font la France à l’étranger. Les églises sont la version architecturale du morbier, du camembert et du reblochon, elles sont l’incarnation physique de notre paysage, alors quand notre culture est attaquée de toutes parts, elles ne peuvent nous être enlevées, elles sont le témoignage du passé, elles sont notre histoire, elles sont « nous » tout simplement. Les églises sont les boussoles de nos campagnes, elles nous donnent le cap… celui dont on manque cruellement aujourd’hui ! Et les gestionnaires qui nous gouvernent ne peuvent pas nous enlever cela ! Et pourtant, c’est une agnostique qui vous parle ici…
Ina Phisinov
*Maurice Barrès, La grande pitié des églises de France, 1914.
**Rivarol, De l’universalité de la langue française, 1797.