Par Gérard Leclerc
La France vit au diapason de ses paysans en colère. Voilà peut-être longtemps qu’elle ne s’est pas trouvée unanime dans le soutien d’une cause, il est vrai, vitale. On parle de souveraineté alimentaire en péril à juste raison. Qu’est-ce qu’une nation qui n’assume plus sa propre subsistance et dont la paysannerie se trouve réduite à peau de chagrin, comme si elle n’était plus qu’un appendice résiduel d’un pays dominé par ses métropoles urbaines ? Eh bien, non ! La révolte unanime de nos campagnes est en train de réveiller une nation qui redécouvre qu’il n’est pas de pays sans paysans, ces gardiens de notre espace et de nos paysages.
Bien sûr, la crise est d’ordre économique, et les mesures qui s’imposent doivent remédier au plus vite à une situation de détresse. Mais on ne saurait oublier que tous nos terroirs forment, depuis des siècles, ce qu’on appelle une civilisation. Car la France ne saurait se réduire à sa capitale et à ses villes, si prestigieuses soient-elles. Elle est forte d’abord de cette multitude de villages ordonnés autour de leur église. Impossible d’imaginer une commune de France sans son clocher qui lui assure son identité reconnaissable.
L’évangélisation de la Gaule a, certes, commencé par les grandes cités mais, sous le patronage de saint Martin, inoubliable figure de notre histoire sainte, c’est toute la ruralité qui a été gagnée progressivement à l’Évangile. Sa trace profonde est restée à travers toute la France. 246 communes portent son nom et plus de 3 700 églises sont placées sous son vocable. Et chacun de nos villages est devenu une paroisse. Péguy chérissait au plus haut point la paroisse comme lieu privilégié de communion, où s’exprime plus qu’ailleurs une communauté. Certes, on se pose la question : qu’est devenue cette communauté, alors que bien souvent le porche de l’église reste obstinément fermé, et qu’à l’intérieur ne brille plus la lumière attestant la divine présence ?
Il y a soixante-dix ans, nos églises étaient ouvertes et rassemblaient nombre de fidèles. La présence des statues de Notre-Dame de Lourdes, de sainte Thérèse et du Curé d’Ars montre que la vitalité paroissiale n’est pas si lointaine. C’est tout un art de vivre qui s’en est allé ainsi, avec la disparition de l’auberge, des petits commerces et des services publics. Est-il chimérique d’espérer qu’un jour la France périphérique se réveille et retrouve une nouvelle vitalité ? C’est le rêve de l’écrivain Daniel Rondeau, « Champenois de nation » comme le grand Dom Mabillon, qui ne peut imaginer sa province non seulement sans le souvenir d’un riche passé, mais sans la sève vivifiante d’une campagne où poussent le blé et le raisin des noces éternelles.