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Un autre Maurras

Par Christian Franchet d’Esperey

Un autre Maurras, tel était l’horizon que se fixait Gérard Leclerc dans un livre écrit dans la foulée des événements de Mai 1968. Titre ambigu sans doute, mais à prendre en bonne part. Il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir dans la destinée si exceptionnelle et bousculée de l’enfant de Martigues. Et, bien sûr, que de richesses à découvrir dans son œuvre, si puissante, où l’axe principal, la philosophie politique, cache mal l’infinie variété des préoccupations d’un esprit sans cesse en éveil. Et que de choses à découvrir dans la mise en relation de cette œuvre avec le monde actuel… Quelle lumière elle apporte sur les perspectives d’un avenir, inquiétant sans doute, mais incertain plus encore ! C’est pourquoi les percées exploratoires dans la substance même de la réflexion maurrassienne ont tout à gagner à la confrontation avec les grands courants de la pensée contemporaine.

C’est le point de vue adopté par les organisateurs du colloque « Un autre Maurras » qui s’est tenu le 17 juin 2023 à la Maison des Mines, à Paris, sous l’égide de la NRU et de l’association des Amis de la Bastide du Chemin de Paradis. L’idée est née à la suite de la publication par les Éditions de Flore du nouveau livre de Gérard Leclerc, Une autre Action française. Cet ouvrage, composé pour l’essentiel de textes parus dans la NRU, témoigne de la manière dont la revue a contribué activement à la récente reviviscence des travaux consacrés à Maurras. Il lui appartenait de donner une seconde vie à ces communications en publiant les actes du colloque que l’on va découvrir dans ce numéro double n°74-75.

Après un incontournable entretien avec Gérard Leclerc présentant son ouvrage à l’abbé de Tanoüarn, Olivier de Lérins redonne vie à un vieux débat sur la relation entre poétique et politique dans l’œuvre du Martégal : poétique d’abord et politique d’abord sont tous deux porteurs de vérité, chacun dans son ordre. La rencontre avec le politologue canadien Nathan Pinkoski nous plonge directement dans le débat contemporain : partant d’une critique du néo-conservatisme anglo-saxon, Pinkoski montre que, pour le réfuter, les meilleurs arguments se trouvent chez Maurras. Et voilà Maurras à la conquête du Nouveau Monde ! Puis Antoine Assaf apporte, lui aussi, un regard d’origine étrangère, un étranger bien proche, il est vrai, d’autant que ce Libanais est un disciple de Boutang : avec lui, il nous conduit au cœur du mystère de Maurras. Michel Maffesoli, lancé « à la recherche du pays réel », le trouve par la voie d’accès inattendue du maurrasso-thomisme, tandis que Chantal Delsol entend défendre, contre Platon et Maurras, la cause du conservatisme… Dès 2017, Alain de Benoist consacrait un remarquable numéro de Nouvelle École à Maurras, où il accueillait Axel Tisserand, Gérard Leclerc, Olivier Dard, Rémi Soulié, Martin Motte et Baptiste Rappin. Il se réservait la pointe critique portant sur le romantisme de Maurras : pour le colloque, il a repris ce thème, en comparant les visions de Maurras et de Carl Schmitt. En contrepoint, nous avons ajouté un fort beau texte de Gustave Thibon sur le « romantisme solaire » de Maurras : le soleil de Provence, bien sûr, opposé aux ombres des forêts de Thuringe… Frédéric Rouvillois a, pour sa part, exhumé un roman de science-fiction masquant une polémique anti-maurrassienne : une curiosité littéraire et une découverte vraiment insolite.

Organisé par Olivier François et Francis Venciton, le colloque a été introduit par Olivier François puis conclu par Philippe Kaminski. Celui-ci a effectué une synthèse de ce qu’il faut savoir sur la maison de Maurras et le comportement de son propriétaire – la mairie de Martigues – et aussi sur ce qu’il est possible de faire aujourd’hui avec l’association des Amis de la Bastide du Chemin de Paradis.

N’ayant pu commémorer au cours de l’année 2023 le centenaire de la mort de Maurice Barrès, la NRU se rattrape ici avec deux articles : l’un, de Dominique Decherf, qui présente les lettres (inédites) adressées à Barrès par Bainville, depuis ses débuts, quand il était en recherche d’une puissance protectrice dans le monde de l’édition et de la presse ; l’autre, d’Olivier Dard, évoque les relations de Barrès et d’Henri Massis tout « au long d’une vie », c’est-à-dire au long de la vie de Massis qui, après une phase de critiques et même de remontrances, décéda près d’un demi-siècle après Barrès sans rien renier de sa fidélité à l’auteur des Déracinés. Un article de Pierre Debray datant d’août 1962 (centenaire de Barrès) complète le dossier. Très mordant, Debray dit à peu près que, quand on a Maurras, on n’a plus besoin de Barrès…