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Nouvelle-Calédonie : un échec républicain

Par Henri Bec

L’Accord de Nouméa de 1998 comportait de nombreuses et importantes dispositions : statut particulier coutumier, « Sénat coutumier », poursuite de la réforme foncière, assemblées de province, leurs décisions ayant force de loi. Plusieurs compétences leur étaient ainsi transférées, exceptées celles touchant aux fonctions régaliennes (défense, sécurité, justice et monnaie). Un pouvoir exécutif était mis en place. Dans le domaine de la représentation, seuls les citoyens installés sur l’archipel avant 1998 et leurs descendants qui y vivaient depuis plus de dix ans pouvaient voter lors de certains scrutins. C’est le « corps électoral spécial » toujours en vigueur, technocratique et fumeux, abandon évident des intérêts d’une partie non négligeable des habitants de l’île. De fait, 40 000 personnes sont exclues de ces scrutins, alors que certaines sont nées en Nouvelle-Calédonie ou y vivent depuis plus de quarante ans. Enfin des référendums d’autodétermination ont été organisés en 2018, 2020 et 2021, tous trois remportés par les partisans du maintien dans la France. À noter que le dernier a été boycotté par les Kanaks qui contestent sa validité.

Pressé par une partie de la population, le gouvernement a décidé de procéder à une modification constitutionnelle pour intégrer dans le « corps électoral spécial » tous ceux nés sur ce territoire depuis dix ans. 25 000 personnes environ sont concernées, soit 14% de nouveaux électeurs. La réforme a été votée le 2 avril par le Sénat et par l’Assemblée nationale le 15 mai. Emmanuel Macron a prévu de convoquer un congrès à la mi-juin pour une adoption définitive. Ce dispositif, à la fois ridicule et hasardeux, toujours rejetant une partie de la population, n’est pas moins insupportable que le premier.

Après divers changements de responsables gouvernementaux des territoires d’Outre-Mer et les déclarations estimées méprisantes du ministre de l’Intérieur, les indépendantistes dénoncent l’absence de concertation et réclament le retrait du texte, vraisemblablement encadrés par des puissances étrangères. Après les incidents antérieurs, qui auraient dû servir de leçon, la situation ne pouvait que dégénérer. Ne pas l’avoir subodorée ressort d’une indigence politique niaise. La visite improvisée du chef de l’État, à vocation électorale, n’a rien arrangé. Pouvait-il d’ailleurs en être autrement, alors qu’à la tête d’un pays dont il a accéléré la décadence en tous domaines, il a désormais perdu toute crédibilité, si ce n’est légitimité, et va, à l’évidence, capituler.

  • La stratégie confirme ce à quoi il nous a habitués : imposer en tous domaines sa seule volonté, loin des préoccupations du pays réel, dont on se demande parfois s’il a conscience de son existence. Élève appliqué des Lumières, il ne peut concevoir une société naturelle et, pour ce qui est de la Nouvelle-Calédonie, des peuples différents dont il était indispensable, depuis longtemps, de travailler à créer un minimum d’homogénéité.
  • Et tous, sénateurs et députés, ont approuvé cette réforme bancale. Il faut être borné comme un Jacobin pour s’imaginer que naviguer entre fermeté de façade et bulletins de vote suffit à régler la question. La République, centralisatrice par nature, ne sait pas, ne veux pas et surtout ne peut pas permettre l’exercice des libertés locales élémentaires. Elle doit pour survivre, tout régenter, tout contrôler, tout surveiller, c’est son obsession première.

L’étalement dans le temps et la multiplication de tous les accords et scrutins évoqués ci-dessus, permettaient aux politiciens de métropole, tétanisés par leur lâcheté, de temporiser et passer ainsi « la patate chaude » à leurs successeurs. Le désordre même des textes signe leur incapacité à concevoir une solution à la fois ferme et équilibrée. On les voit, embarrassés par la nécessité de calmer le jeu et celle de maintenir un semblant d’autorité, autrement dit sans solution. La démagogie est toujours porteuse de drames futurs.

Seulement préoccupés par les variations de l’opinion, les moyens propres à concevoir une politique réfléchie et conséquente, assise sur le temps long, leur échappent. En Nouvelle-Calédonie, sous l’autorité d’un pouvoir pleinement légitime, laissant à chacun l’exercice de ses responsabilités, l’harmonie pouvait être établie. Les prodigieuses différences auraient dû se transformer en une heureuse diversité comme aurait dit Bainville. Mais à la place d’un irresponsable paltoquet, il eut été nécessaire de compter sur un État solide, avant tout soucieux des intérêts français.

Les récents incidents vont laisser des plaies qu’il sera long et difficile de cicatriser.